version soumise : # Logiciels libres : à la recherche du bien commun Résumé Le logiciel libre et la recherche publique partagent un objectif : le bien commun, au service de tous. Cette présentation revient sur cette «légende» urbaine qu'est le bien commun, et la science ouverte, pour essayer de les analyser à l'aide de l'exemple concret issu du monde de la recherche qui est celui de PAPPSO, une plateforme d'analyse protéomique fonctionnant avec uniquement des logiciels libres. Nous décortiquerons ensemble les liens fondamentaux entre recherche scientifique et culture libre, nous tenterons de défaire quelques fausses croyances et d'analyser les freins actuels au développement scientifique libre, afin de faciliter et de permettre une plus grande synergie entre les deux. ==== Le logiciel libre et, plus largement, la culture libre se basent sur les 4 libertés suivantes : * la liberté d'utiliser sans restrictions, * la liberté d'en étudier le fonctionnement sans restrictions, * la liberté de modifier, améliorer, adapter, * la liberté de distribuer librement, de rediffuser ou partager les modifications éventuelles également. Ainsi, le logiciel libre, les licences libres ou la culture libre en général, visent à permettre et, mieux encore, à garantir, l'utilisation libre, le partage, la collaboration, la diffusion libre du savoir, au service de tous, pour le bien commun. La recherche publique, quant à elle, qu'elle soit scientifique ou pas, tâtonne, avance, se précise et s'enrichit avec la mise en commun des méthodes de travail, des résultats — échecs et découvertes — qui forment collectivement les savoirs. La recherche publique, organisée et chapeautée par des organismes étatiques, financée collectivement (par nos impôts en grande partie, mais aussi par d'autres mécanismes de retour sur investissements publics comme les crédits impôts recherche), vise justement à construire un service public, un savoir commun, à travers la collaboration et le partage, au service de tous, sans restrictions, sans discriminations, pour le bien commun. Illustration ici avec https://download.fsfe.org/videos/pmpc/pmpc_fr_desktop.mp4la vidéo Public Money, Public Code en fr de la FSFE. Les deux semblent faits l'un pour l'autre. Mais qu'en est-il en réalité? === Le logiciel libre — de par sa nature même — est un objet scientifique canonique, en ce sens qu'il se décline sous trois formes inter-dépendantes: il constitue un outil pour la recherche scientifique, il est un produit de la recherche scientifique et enfin, il est un objet de recherche scientifique. Et réciproquement, la recherche scientifique publique a besoin des libertés du logiciel libre afin de remplir pleinement son rôle de bien commun, au service de tous, et de bénéficier de ces libertés pour se construire sans restrictions, comme un édifice qu'on construit petit à petit. Nous allons illustrer cette synergie entre logiciels libres et recherche publique à travers l'exemple de la plateforme de protéomique PAPPSO (Plateforme d'Analyses Protéomique de Paris Sud-Ouest http://pappso.inra.fr/), qui utilise et développe uniquement des logiciels libres. Cet exemple, nous montre l'apport du logiciel libre au développement scientifique, l'agilité inhérente à son mode de fonctionnement, et son rôle indéniable au service d'une science ouverte, d'une science au service de tous. PAPPSO est tout d'abord une plateforme d'analyses protéomique et d'outils bioinformatiques au service d'autres laboratoires de recherche, afin d'aider ceux-ci, à travers son expertise et savoir-faire, à effectuer les analyses scientifiques protéomiques et traiter les données qui y sont issues. Mais PAPPSO est également un laboratoire de recherche scientifique en protéomique, où de nombreux chercheurs mènent diverses thématiques de recherche dans le domaine. PAPPSO s'est dotée petit à petit, au fil des années et des besoins, d'une infrastructure informatique complète : réseau, serveurs, stockage, calcul et postes personnels, basée en totalité sur des systèmes et logiciels libres. De plus, la plateforme utilise quasi exclusivement des logiciels libres, et développe aujourd'hui elle même plusieurs logiciels sous licence libre et en particulier toute la chaîne de traitement informatique des données protéomiques, depuis leur sortie des instruments de mesure, jusqu'à leur analyse statistique finale : mineXpert2, X!TandemPipeline, MassChroQ, PROTICdb (liste complète des logiciels ici http://pappso.inra.fr/bioinfo/). Nous montrerons que ce choix s'est opéré naturellement, et même inévitablement, dans un environnement scientifique où la maîtrise fine des logiciels est fondamentale (modifier un logiciel au niveau du code est un besoin quasi quotidien), où il est indispensable d'assurer une haute reproductibilité des traitements, où l'objectif est d'optimiser pour améliorer le fonctionnement des logiciels, afin de faire avancer la recherche et la technique dans le domaine concerné. Nous verrons également comment l'agilité, intrinsèque au modèle de développement communautaire des logiciels libres et à l'emploi d'outils qui en sont nés et qui sont devenus universels (forges logicielles, systèmes de rapport de bogue, tests multiples, documentation), permet une efficacité scientifique accrue. Un autre aspect crucial dans tout l'écosystème que nous décrivons est l'intégration de librairies ou de portions de code tiers pré-existants dans des projets en cours de développement. Ces emprunts, intégrations, collaborations, sont possibles grâce aux licences libres qui nous permettent de ne pas réinventer/réimplémenter constamment les mêmes fonctionnalités, tout en profitant du partage et du travail collaboratif pour aller de l'avant bien plus rapidement et plus sûrement; et en faisant profiter à son tour la communauté scientifique de par la mise à disposition sous licence libre de ce code source ainsi produit. === Si la recherche publique profite et bénéficie de l'apport du logiciel libre comme on le voit à travers l'exemple de PAPPSO, elle en est également un producteur et acteur important, dont l'apport est primordial. De nombreux logiciels libres de pointe sont issus du monde de la recherche publique comme en témoigne en partie la forge du code source du secteur public (https://code.etalab.gouv.fr). De nombreux logiciels connus et utilisés largement en sont issus : la distribution Debian GNU/Linux, le logiciel Inkscape, le langage OCAml, Scilab, Scenari, Sympa, Lodel, VLC qui est née d'un projet d'étudiants de Centrale Paris (voir le catalogue Plume à https://www.projet-plume.org/fiches_logiciels_dev_internes). L'environnement de la recherche publique, éloigné d'impératifs économiques immédiats, en contact direct avec un milieu hautement qualifié, riche de par la diversité des savoirs et la qualité des échanges, constitue un atout pour le développement efficace de logiciels libres. C'est d'ailleurs cet environnement, ce savoir faire, que les entreprises privées apprécient et recherchent chez nous: nos capacités et notre force de développement sont uniques. Ne nous sous-estimons pas, et préservons nos spécificités. Nous évoquerons ensuite les recommandations, les obligations, les décrets et circulaires en vigueur quant aux logiciels produits dans des établissements publics. Quelques questions qui seront abordées et auxquelles nous tenterons de répondre, sont les suivantes: les logiciels scientifiques issus de la recherche publique sont-ils souvent libres? Leur code source est-il systématiquement disponible? Si oui, est-il librement utilisable ? Quels sont les freins à la publication de code source sous licence libre ? Comment lever ces freins ? Comment éviter la fermeture du code dans un partenariat public - privé? Comment choisir une licence libre ? Comment une licence copyleft peut-elle protéger ses auteurs et leurs œuvres, mais aussi séduire les partenaires privés ? Nous allons ici analyser les freins, les mécanismes à la base de la fermeture ou de la non ouverture des codes sources. Nous allons également essayer de défaire quelques idées reçues et de voir ensemble comment progresser et faciliter davantage l'utilisation de logiciels et de licences libres, exposer brièvement des solutions, montrer des exemples de succès. Et enfin aborder la question de la construction collective d'une culture libre, au service du bien commun, qui implique les citoyens, les collectifs et associations, les tiers lieux, pour une science de demain véritablement ouverte.