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TD informatique
Deuxième République.
La Deuxième République, ou Seconde République, est le régime républicain de la France du 24 février 1848, date de la proclamation provisoire de la République à Paris, jusqu’à la proclamation de Louis-Napoléon Bonaparte comme empereur le 2 décembre 1852, amorcée — jour pour jour l’année précédente — par un coup d’État. Elle fait suite à la monarchie de Juillet et est remplacée par le Second Empire.
La Deuxième République se distingue des autres régimes politiques de l’histoire de France d’abord par sa brièveté, ensuite parce que c’est le dernier régime à avoir été institué à la suite d’une révolution. C’est enfin le régime qui applique pour la première fois le suffrage universel masculin en France et abolit définitivement l’esclavage dans les colonies françaises. Après une période transitoire où un gouvernement relativement unanime prend des mesures sociales demandées par la frange ouvrière des révolutionnaires, le régime se stabilise et évince les socialistes, puis se dote d’une constitution. Dès décembre 1848, la République a un président, Louis-Napoléon Bonaparte, élu pour quatre ans comme champion (jugé manipulable) du parti de l’Ordre. S’ensuivent plusieurs années de politique conservatrice, marquées notamment par la loi Falloux qui implique plus fortement l’Église catholique dans le domaine de l’éducation et la nette restriction du suffrage universel pour freiner le retour de la gauche, incarnée par la Montagne. Les conceptions sociales de Bonaparte l’éloignent du parti qui l’a amené au pouvoir, et il rassemble progressivement autour de sa personne une nouvelle sphère bonapartiste, tandis que le parti de l’Ordre espère faire arriver à la présidence, en 1852, un candidat
monarchiste. Bonaparte, à qui la Constitution interdit de se représenter au terme de son mandat, fait pression pour obtenir qu’elle soit amendée, mais en vain. Il orchestre donc avec ses proches le coup d’État du 2 décembre 1851 qui lui permet par la suite d’instaurer un régime autoritaire, approuvé par le peuple par le biais d’un plébiscite. L’année suivante, Bonaparte reçoit la dignité impériale, mettant fin au régime au profit du Second Empire. Le souvenir de la fin agitée de la Deuxième République marque durablement la classe politique française, qui refusera pendant plus de cent ans que le président de la République puisse à nouveau être élu au suffrage universel.
Crise économique et impossible réforme de la monarchie de Juillet.
Le milieu des années 1840 est marqué par une crise à la fois économique, sociale et politique qui touche la monarchie de Juillet et conduit le régime à sa fin. Les mauvaises récoltes de 1845 et 1846 et la déficience des moyens de transport pour acheminer des secours donnent lieu à une crise économique marquée par une hausse des prix alimentaires, avec son cortège de misère et d’émeutes (comme celles de Buzançais en 1847, qui se soldent par trois condamnations à mort). Cette crise cumule par ailleurs des aspects anciens et modernes : il s'agit notamment de la dernière grande crise de subsistance en France, mais aussi de la première véritable crise capitaliste de surproduction. En effet, si la crise est d'abord agricole, elle s'amplifie par la suite dans d'autres secteurs. La bonne récolte de 1847 fait baisser les prix, ce qui gêne les gros producteurs céréaliers comme les petits, qui ont du mal à écouler leur production. L'exode rural s'amplifie. De plus, le monde rural (75 % de la population) réduit sa consommation de produits artisanaux et industriels. Une crise économique secoue ce dernier secteur, qui s'est fortement développé depuis 1840. La crise économique et monétaire conduit des entreprises à la
faillite, notamment dans les domaines de la métallurgie et de la construction ferroviaire, mettant à la fin de 1847 près de 700 000 ouvriers au chômage. Ce climat de crise fait baisser la natalité, augmenter la mortalité, et crée un important sentiment de peur sociale. La perte de confiance ne favorise pas la reprise, et nombre des victimes de la crise recherchent des responsables à leur situation, se retournant donc contre un pouvoir déjà fragilisé.
Une crise plus ancienne touche en effet le régime. Divers scandales impliquant des notables d'influence locale et nationale ruinent leur prestige aux yeux de la petite bourgeoisie, et inquiètent certains dirigeants quant à leur légitimité. À cela s'ajoute le débat croissant sur la réforme électorale : en 1848, le pays ne compte que 241 000 électeurs pour près de 35,5 millions d'habitants. Une part croissante du corps législatif, notamment les membres de l'« opposition dynastique », attend un nouvel abaissement du cens et l'introduction de plus de « capacités » (corps de métier bénéficiant du droit de vote sans condition de cens), ainsi que l'impossibilité pour un fonctionnaire d'accéder à un mandat législatif. L'opposition espère ainsi doubler le nombre de votants, et réduire l'importance de François Guizot, à la tête du gouvernement depuis 1840 et qui avait encore obtenu une importante majorité aux élections de 1846. En 1847, cette majorité refuse l'abaissement du cens de 200 à 100 francs, conduisant à un inévitable blocage.
Conscients de la nécessité d'une réforme pour arriver au pouvoir, et de l'impossibilité de cette réforme avec la majorité au pouvoir, les monarchistes de l'« opposition dynastique » organisent partout une vaste campagne de banquets par laquelle,
Image représentant napoléon debout, la main sur son ventre et dans sa veste.
en contournant l'interdiction de réunions politiques, ils tentent de convaincre Guizot d'élargir les conditions d'accès au vote en sollicitant l'opinion. Le premier banquet a lieu à Paris le 9 juillet 1847 avec 1 200 personnes, dont 85 députés. D'autres s'enchaînent en province, souvent dirigés par des opposants de renom. Pour contourner l'interdiction de réunions politiques, les participants portent des toasts à connotation politique, par exemple : « à la fin de la corruption », et parfois plus sociale comme « à l'amélioration du sort des classes laborieuses ». Cependant, malgré l'importante mobilisation, qui pousse un conservateur à proposer à la Chambre et à Guizot des réformes « sages, modérées, parlementaires », le chef du gouvernement reste inflexible.
La révolution de 1848.
Face à ce refus, l'opposition décide d'organiser à nouveau un banquet d'importance à Paris, en février 1848, dans un quartier populaire. La crainte de dérives insurrectionnelles pousse les chefs de l'opposition dynastique, comme Odilon Barrot, à faire machine arrière, mais il est trop tard. Pour limiter les risques, le banquet est déplacé aux Champs-Élysées et reporté au mardi 22 février au lieu du dimanche initialement prévu, mais l'arrivée du peuple dans la rue semble inévitable. De fait, si le banquet est officiellement interdit, une manifestation survient. Dès le 23, des barricades sont dressées et le maintien de Guizot semble un obstacle à l'apaisement
1
André Jardin et André-Jean Tudesq 1973, p. 247.
. De plus, la garde nationale, chargée de maintenir l'ordre, n'est guère favorable au ministre. Sa démission le jour même n'empêche pas un drame : dans la soirée, des manifestants venus se féliciter de son départ devant le ministère des Affaires étrangères, boulevard des Capucines, sont fusillés dans la confusion. Seize d'entre eux sont tués, donnant un nouveau tour à la révolution.
Le roi Louis-Philippe met alors en œuvre plusieurs solutions successives, faisant appel en l'espace de quelques heures à deux de ses anciens ministres, Mathieu Molé et Adolphe Thiers, qui ne satisfont pas les manifestants, puis à Odilon Barrot, l'un des chefs de l'opposition dynastique, qui ne parvient pas non plus à rétablir la situation. Le 24, la marche des insurgés vers le palais des Tuileries pousse le roi vieillissant à abdiquer rapidement en faveur de son petit-fils, le comte de Paris, âgé de neuf ans. Il s'empresse ensuite de fuir en Angleterre, signant dans le même geste la fin de la monarchie de Juillet. La Chambre démissionne dans la
foulée.
Le pouvoir tend alors à se regrouper dans les mains des chefs républicains à la tête des insurgés, mais aussi autour des journaux d'opinion que sont Le National (républicain modéré) et La Réforme (socialiste). Le nouveau roi désigné étant trop jeune, une régence s'annonce pour la duchesse d'Orléans qui, selon ses principes libéraux, choisit de se faire investir par les députés et se rend au palais Bourbon, où la salle des séances est déjà envahie par les insurgés. Les indécis les plus influents, qui auraient pu permettre au régime de perdurer (comme Lamartine), penchent finalement dans le sens de l'insurrection — et donc de la République — et préparent un gouvernement provisoire. Des manœuvres semblables ayant lieu à l'hôtel de ville, les députés s'y précipitent. C'est là qu'est finalement mis au point le gouvernement provisoire, autour de cadres des courants de La Réforme et du National, ce dernier étant prépondérant. La République est proclamée dans la foulée, pour éviter une nouvelle hésitation comme en 1830.
Histoire du régime.
Gouvernement provisoire et tentatives sociales.
Le gouvernement provisoire de 1848 réunit donc deux tendances, démocrates et libéraux. La tendance majoritaire est celle des libéraux non socialistes, représentée par les députés Dupont de l'Eure (qui en a la présidence symbolique, pour sa participation à la Révolution française), Lamartine, Crémieux, Arago, Ledru-Rollin, Garnier-Pagès, Marie, auxquels se joint Marrast du National. Si les démocrates se reconnaissent en Ledru-Rollin, ainsi qu'en Flocon, du journal La Réforme, ils demandent une plus grande représentation de leurs idées au gouvernement. S'y ajoutent donc Louis Blanc et Alexandre Martin, dit « l'ouvrier Albert ». Cependant, ces trois derniers ne bénéficient d'aucune fonction de ministre, signe de l'inégalité des forces entre les deux partis. Décidés à revendiquer l'héritage de la Révolution, mais pas de la Terreur, les représentants de la République, notamment Lamartine, souhaitent une conciliation des classes, une amélioration des conditions de travail, et rejettent le drapeau rouge que veut imposer la foule au profit du drapeau tricolore déjà adopté. Leurs premières mesures sont révélatrices de la tonalité qu'ils souhaitent donner au nouveau régime. Le 25 février, ils instituent le suffrage universel masculin. La peine de mort pour raisons politiques est également abolie, comme désaveu de cette Terreur. Les « principes de 1789 », comme la liberté individuelle, sont mis en application : le 27 avril un décret annoncé dès le début du régime met définitivement fin à l'esclavage dans les colonies françaises. Se réclamant de la Révolution française, ils souhaitent que les peuples puissent librement choisir leur destin et ils souhaitent que la République soutienne les Polonais et les Italiens
de Milan et de Sicile insurgés contre leurs souverains, ou les Autrichiens, mais certains, comme Lamartine, prônent la prudence en ce domaine. Ce dernier, chef de la diplomatie, définit la politique de la France en ce domaine comme un équilibre entre les principes qu'elle défend et l'étendue de ses forces. Aussi la nouvelle République ne s'engage-t-elle pas à soutenir toutes les révolutions, et renonce aux guerres de conquête qui avaient marqué la Première République.
Pour satisfaire la frange de gauche de ce gouvernement provisoire très hétérogène, l'État se dote de moyens de lutter contre le chômage qui touche de nombreux Français. Un compromis entre les ateliers sociaux gérés par les ouvriers voulu par Louis Blanc et la défense de la propriété défendue par ses opposants est trouvé avec la création des ateliers nationaux le 27 février. Ces grands travaux ont le double avantage de diminuer le chômage et d'éloigner les ouvriers de possibles révoltes. Faute d'obtenir la création d'un ministère du Travail, les socialistes bénéficient de la création de la commission du Luxembourg, où l'on réfléchit sous la présidence de Louis Blanc et d'Albert à une nouvelle organisation du travail en vue d'améliorer le sort des « classes populaires ». Cette commission permet aux ouvriers d'obtenir, le 2 mars, que le gouvernement diminue d'une heure la durée de la journée de travail, qui passe de onze à dix heures à Paris et de douze à onze heures en province
2
Maurice Agulhon 1973, p. 45-46.
.
En province, l'information circule vite et de nouveaux fonctionnaires favorables au régime sont mis en place. De nombreux notables légitimistes, heureux de l'éviction de Louis-Philippe, et même des orléanistes, rallient la République, tandis que les républicains, censurés sous la monarchie de Juillet, manifestent leur enthousiasme. Aux républicains « de la veille » se joignent donc les républicains « du lendemain », gagnés au nouveau régime : les légitimistes, notamment, profitent de
cette occasion pour se débarrasser des Orléans. Nombre de catholiques se rallient également. Les populations de province profitent cependant dans un premier temps de la désorganisation suscitée par le changement de régime pour laisser exploser des tensions plus anciennes, et certains règlements de compte ont lieu, sous forme de pillages et destructions, avant que la majorité de la population ne rejoigne la République. Les paysans, oubliés par les réformes, restent en revanche distants vis-à-vis du nouveau régime.
Les élections d'avril 1848 et l'Assemblée constituante.
L'unanimisme « républicain » est de mise pendant quelques semaines : les prêtres bénissent les arbres de la liberté qui sont plantés dans de nombreuses communes, dans l'illusion de l'avènement d'une « ère nouvelle », celle de la fraternité universelle. La situation change avec l'approche d'élections en vue de former l'Assemblée constituante, qui doit poser les bases d'un nouveau régime politique. Les républicains avancés, conscients du contrôle des ruraux par les notables, redoutent les résultats du suffrage universel. Afin d'avoir le temps de développer leur propagande en province, ils demandent, sous la direction de Blanqui, un report des élections. Ils obtiennent maigrement satisfaction, les élections étant décalées du 9 au 23 avril. Déçu, Blanqui s'obstine et mène des ouvriers dans la rue le 16 avril. Ils font face à la garde nationale devant l'hôtel de ville, mais la journée se termine sans effusion de sang, et sans modification du calendrier électoral. Un front de l'ordre se forme, décidé à contrer les revendications des ouvriers en passant dans un premier temps par les urnes.
Les élections du 23 avril confirment les craintes des républicains avancés. Au début du mois, Ledru-Rollin avait demandé à ses commissaires d'éclairer le peuple provincial pour l'inciter à voter pour des républicains de la veille. Ainsi, si on cherche à
contrer le courant socialiste à Paris, c'est le courant monarchiste qui est craint en province. Les élections mobilisent 84 % de l'électorat, qui doit souvent marcher longuement jusqu'au chef-lieu de canton dans ce qui est parfois une véritable procession civique guidée par le maire et quelques fois par le curé. La nouvelle Assemblée, d'environ 900 membres, est dominée par les républicains modérés (environ 500 élus). Mais les monarchistes, qui vont former le parti de l'Ordre, représentent 200 députés. Le courant socialiste occupe alors moins du quart de l'Assemblée et ses chefs ne sont pas élus, à l'exception d'Armand Barbès. Les membres du gouvernement provisoire sont réinvestis pour leur part, en particulier Lamartine qui est élu dans 17 départements. Par crainte de la fermeture des ateliers nationaux, seul moyen de subsistance d'une partie de la population ouvrière, une émeute survient à Rouen, première effusion de sang entre républicains sous ce régime. Le 4 mai, l'Assemblée proclame à nouveau la République, à une date qui devient symboliquement sa fête.
La commission exécutive et les journées de juin.
L'élection de l'Assemblée constituante permet de mettre en place un système de gouvernement moins confus. En s'inspirant du Directoire, il est décidé de créer une commission exécutive de cinq membres, choisis parmi l'ancien gouvernement provisoire. Les socialistes en sont exclus, et elle est composée de François Arago (qui la préside), ainsi que Louis-Antoine Garnier-Pagès, Pierre Marie de Saint-Georges, Alphonse de Lamartine et Alexandre Ledru-Rollin. Ce dernier, jugé par certains comme le responsable des tumultes parisiens, ne doit son entrée à la commission qu'à Lamartine, qui en fait une condition de sa propre participation. À la suite de la création de la commission, un gouvernement est formé dans la même tendance, proche du National, malgré deux
concessions aux socialistes : le maintien d'Hippolyte Carnot à l’Instruction, et l'arrivée de Ferdinand Flocon à l’Agriculture et au Commerce.
Des troubles se produisent rapidement. Le 15 mai 1848, à la suite d'une manifestation en faveur de la Pologne, Barbès, Blanqui, Raspail et l'ouvrier Albert rentrent de force dans l'assemblée élue trois semaines plus tôt. Aloysius Huber la déclare dissoute et acclame les noms des dirigeants révolutionnaires susceptibles de former un nouveau gouvernement, mais ils sont finalement arrêtés. L'historien Henri Guillemin y voit pour sa part un « piège », dans la mesure où Huber aurait pu être un provocateur de la police, rôle qu'il avait rempli sous Louis-Philippe. Sa personnalité douteuse entretient dans tous les cas la confusion sur l'origine réelle de l'événement. Qu'il s'agisse d'une provocation ou non, le résultat est la décapitation de l'extrême-gauche et les premières arrestations politiques du régime.
L'élection en plusieurs lieux de certains des députés (notamment Lamartine, qui l'est 17 fois), laisse de nombreux sièges libres, et entraîne de nouvelles élections, le 4 juin. Arrivent ainsi de nouveaux venus, notamment Victor Hugo, mais aussi Louis-Napoléon Bonaparte (qui démissionne aussitôt), et pour l'extrême gauche, Marc Caussidière, Pierre-Joseph Proudhon et Pierre Leroux. Cela n'est pas sans danger pour le gouvernement, d'autant que les idées socialistes, mais aussi la popularité croissante de Bonaparte, ont trouvé un puissant moteur dans les ateliers nationaux dont la majorité craint qu'ils ne suscitent des mouvements insurrectionnels. Leur fort coût accroit encore la motivation de la majorité des constituants pour les détruire.
Le 21 juin, sous la pression de l'Assemblée, la Commission exécutive prend un décret obligeant les hommes de moins de 25 ans à rejoindre l'armée, et les autres ouvriers à se disperser en province. Il s'agit de fait d'une dissolution des ateliers
nationaux. Une partie du Paris populaire entre en insurrection le 22 pour protester contre cette fermeture. Ce sont les journées de Juin, qui durent jusqu'au 28. L'armée, commandée par le général républicain Cavaignac (à qui l'assemblée confie tous les pouvoirs le 24), réprime durement les insurgés avec ses 50 000 soldats, rejoints par 100 000 gardes nationaux de province. Plusieurs milliers d'insurgés sont tués, 1 500 fusillés, tandis que l'on compte plus de dix mille prisonniers.
Outre l'agitation, qui marque aussi un certain recul de la domination de Paris sur la province (recul symbolisé par le suffrage universel), les journées de Juin marquent aussi l'avènement du gouvernement Cavaignac, et le retrait des cinq de la Commission. La peur bourgeoise face à ces événements est très forte, et les conséquences de ces violences sont durables dans les esprits. Le régime en sort affaibli et est désormais marqué par une forte peur sociale, renforcée par les rumeurs souvent infondées sur les atrocités commises par les insurgés.
La République conservatrice.
L'hypothèse d'une république sociale étant brutalement levée, la majorité de l'Assemblée (républicains modérés et monarchistes) soutient le gouvernement du général Cavaignac, républicain mais conservateur et autoritaire. Le gouvernement perd ses derniers éléments socialistes avec le départ de Flocon, mais aussi d'Hippolyte Carnot qui doit quitter l’Instruction publique le 5 juillet à la suite d'un vote de défiance, pour satisfaire notamment la droite cléricale qui apprécie peu d'avoir un tel libre penseur à ce poste. Le gouvernement annule les mesures sociales prises au printemps 1848 (limitation du temps de travail, notamment), il limite drastiquement la liberté d'expression (loi sur la presse et censure des théâtres), et poursuit certains des derniers socialistes, comme Louis Blanc, qui préfère s'exiler. Lorsque Proudhon propose son projet socialiste
à l'Assemblée, il ne reçoit que 2 voix, contre 600.
L'élimination de l'extrême gauche semble accroître les chances d'une république bourgeoise et modérée, sous l'égide de Cavaignac. C'est pourtant rapidement un échec. Pendant l'été 1848, les élections municipales du 3 juillet, et les cantonales des 27 août et 3 septembre, montrent une évolution de l'électorat. Les ruraux sont mécontents de la baisse des prix, liée à une bonne récolte, et ulcérés des moyens militaires utilisés pour percevoir l’impôt des 45 centimes, et désavouent par conséquent la République. Plus de 35 000 maires et adjoints élus (sur 65 000) occupaient déjà ces fonctions sous la monarchie de Juillet. Les élections législatives des 17 et 18 septembre confirment l'évolution : dans treize départements, sur dix-sept députés élus, quinze sont monarchistes.
Le 4 novembre, l'Assemblée vote le texte d'une Constitution élaborée par une commission depuis le 17 mai. À côté d'un président de la République, chef de l'exécutif, élu pour quatre ans au suffrage universel masculin et non rééligible immédiatement, siège une Assemblée législative élue pour trois ans au suffrage universel toujours masculin, qui vote les lois et contrôle le gouvernement. Rien n'est prévu pour régler pacifiquement un possible conflit durable entre le président et l’assemblée. À gauche, certains, comme Jules Grévy, se sont opposés à cette fonction suprême, jugeant que l'exécutif devait revenir au chef de gouvernement, révocable par l'assemblée ; mais leur proposition a été très nettement rejetée. La Constitution annonce les grandes valeurs de la République : « Elle a pour principes la Liberté, l’Égalité, la Fraternité. Elle a pour base la Famille, le Travail, la Propriété, l'Ordre public ». En revanche, l'extrême-gauche ne parvient pas à y faire exprimer le principe de « droit au travail ». L'élection du président par le peuple suscite des craintes de retour à la monarchie, et un amendement
supprimant cette élection est proposé, sans succès. Des dispositions sont cependant prises pour garantir la non-rééligibilité du président, et des mesures en cas de coup d’État de sa part.
L'élection présidentielle de décembre 1848.
L'automne est occupé par la préparation de l'élection présidentielle qui doit avoir lieu le 10 décembre 1848. Regroupés autour du National, les Républicains modérés pensent que la popularité d'Eugène Cavaignac assurera son élection. Face à lui se présente Louis-Napoléon Bonaparte qui, en septembre, a été réélu à l'Assemblée. Entre eux s'engage une lutte pour séduire l'électorat conservateur de droite, qu'il s'agisse de libéraux ou de catholiques. Pour ce faire, Cavaignac fait entrer deux orléanistes au gouvernement, et propose d'accueillir le pape Pie IX, chassé de ses États par la révolution et la proclamation de la République romaine. Cela lui fait perdre une partie du soutien des modérés, tandis que la gauche lui est opposée depuis les événements de juin. De leur côté, les chefs du « parti de l'Ordre », peu convaincus, se rabattent sur Bonaparte, dont Adolphe Thiers juge qu'il sera ensuite facile à manipuler.
À gauche, Alexandre Ledru-Rollin propose sa candidature, afin de rassembler les déçus de Cavaignac et les socialistes modérés, tandis que les socialistes intransigeants présentent Raspail, alors emprisonné. Comptant sur sa popularité démontrée par ses succès aux législatives, Lamartine se présente également. Quelques légitimistes portent pour leur part la candidature du général Nicolas Changarnier.
Le résultat est sans appel : Bonaparte obtient plus de 5 millions de voix, soit 74,2 % des suffrages exprimés, alors que Cavaignac, arrivé second, ne récolte qu'un million et demi de voix. Ledru-Rollin en obtient moins de 400 000, Raspail 37 000, et
Lamartine moins de 18 000 tandis que Changarnier, bon dernier, est encore nettement derrière. Il est alors évident que l'assemblée élue en avril n'est plus représentative de l'électorat. Les campagnes, notamment, ont plébiscité Bonaparte car, chose rare, il leur est possible de voter pour un nom qu'ils connaissent. Ce jour de vote fait donc figure d'entrée en scène du monde rural sur la scène politique française.
Les élections législatives de 1849.
Le président nomme Odilon Barrot à la tête d'un gouvernement à forte coloration monarchiste. Très représentatif des visées du parti de l'Ordre, ce gouvernement ne compte aucun républicain. La nouvelle tendance est clairement affichée et, rapidement, certains préfets républicains sont remplacés par des anciens de la monarchie de Juillet ou des bonapartistes. Le gouvernement œuvre pour affaiblir le camp républicain en vue des élections législatives que l'Assemblée, à majorité républicaine, est contrainte d'accepter le 29 janvier sous pression militaire (l'armée étant mobilisée au vague prétexte d'émeutes). Elles doivent avoir lieu le 13 mai 1849.
Le ministre de I'Intérieur, Léon Faucher, obtient difficilement le 24 mars l'interdiction des clubs politiques. L'expression publique des républicains démocrates-socialistes regroupés au sein de la Solidarité républicaine (créée pour Ledru-Rollin lors de l'élection présidentielle), est ainsi rendue plus difficile. Cette nouvelle Montagne (dont le nom fait référence à la Montagne de 1793) se retrouve être la seule opposition conséquente face au parti de l'Ordre, puisque les quelques républicains modérés ne parviennent pas à créer une faction centrale conséquente après la défaite de Cavaignac. Si le parti de l'Ordre remporte ces élections (53 % des voix, 64 % des élus), les démocrates-socialistes progressent (25 % des voix), alors que les républicains modérés sont laminés (11 % des voix). La géographie politique de la France à
cette époque pose les foyers durables de l'extrême-gauche dans le pays. L'espoir est alors grand pour les démocrates-socialistes (qui voient fortement progresser le vote paysan en leur faveur depuis l'élection présidentielle) d’une plus forte progression à l’avenir, ce qui est symétriquement une crainte pour les conservateurs effrayés par le « spectre rouge ».
Cependant, le pouvoir est aux mains du parti de l'Ordre, et c'est donc dans le sens d'une politique conservatrice et catholique qu’agit le gouvernement. C'est notamment le cas lors de l'expédition de Rome, où le corps envoyé pour défendre la jeune République romaine contre les Autrichiens est détourné de sa mission pour rétablir le pape Pie IX dans ses prérogatives temporelles. Certains républicains sont choqués que la République française s'attaque à une autre république pour restaurer une monarchie, et Ledru-Rollin appelle à des manifestations le 13 juin. Cependant, il n’est pas suivi, une partie des chefs sont arrêtés, et Ledru-Rollin lui-même s'exile pour vingt ans en Angleterre. Des manifestations ont lieu en province, notamment à Lyon où des barricades sont dressées : on compte des dizaines de morts et des centaines d'arrestations.
Crépuscule d'une République avortée.
La reprise des hostilités contre la République romaine permet au gouvernement de se débarrasser des chefs républicains qui s'y opposent après le fiasco de leur manifestation du 13 juin 1849 : 34 députés sont suspendus de leur mandat, la plupart se trouvent sur le chemin de l'exil. L’état de siège est déclaré dans les départements qui se sont révoltés, et de nouveaux délits sont créés, notamment celui d'offense au président dans la presse. Peu à peu, une répression des idées républicaines se met en place, servant les intérêts communs de Bonaparte et du parti de l'Ordre. Afin d'éviter de nouvelles révoltes, notamment à Paris, et suivant le courant du catholicisme social, le gouvernement entreprend de lutter contre la misère. Les conservateurs innovent dans leur démarche en reconnaissant que l’État doit intervenir dans la question sociale. Ainsi apparaît le 13 avril 1850 une loi sur les logements insalubres ; en juillet de la même année, une loi encadre les sociétés de secours mutuels, en février 1851, une loi est adoptée sur l'apprentissage, et le 30 juin, une autre concerne les caisses d'épargne. Ces innovations n'ont qu'un impact limité, et ne parviennent à combler les attentes de 1848, tout en créant le débat entre les députés.
D'autre part, les catholiques effrayés par le socialisme et, notamment, les projets d'Hippolyte Carnot sur l'éducation, renforcent leur lutte contre le monopole de l'Université. La loi Falloux votée en mars 1850 donne une plus grande place à l’Église dans l'enseignement, et une plus grande liberté aux préfets concernant la nomination et l'éviction des instituteurs. Cela a également pour effet d'entraîner une poussée d'anticléricalisme chez
les intellectuels et l'effacement du courant socialiste chrétien par rapport à la défense de l'ordre.
Cependant, l'harmonie n'est pas parfaite entre le président et la majorité qui l'a porté au pouvoir. Le 31 octobre 1849, il renvoie le gouvernement Barrot pour former à la place un ministère de partisans qui dépend davantage de son autorité. Sa politique restant la même, le parti de l'Ordre finit par s'en accommoder. Face à lui, l'opinion républicaine poursuit sa résistance, notamment lors des élections législatives complémentaires du 10 mars et du 28 avril 1850. Les républicains parviennent à faire élire vingt-et-un des leurs pour remplacer trente-et-un de leurs chefs, déchus de leur mandat par la Haute Cour. Cette persistance d'une faction montagnarde qu'elle croyait avoir éliminée effraie la majorité, qui décide d'agir.
La loi électorale du 31 mai 1850 réduit ainsi l'électorat de 30 % sans pour autant remettre en cause le principe du suffrage universel : elle s'assure notamment que les électeurs ont résidé trois ans dans leur canton et prend d'autres dispositions qui éliminent dans les faits les plus pauvres et les militants du corps électoral. La loi suscite des critiques pour son hypocrisie, et réduit de 9 600 000 à 6 800 000 le nombre des électeurs, laissant penser au pouvoir que la menace montagnarde est définitivement passée. De nouvelles perspectives apparaissent donc pour l'élection présidentielle de 1852.
Une nouvelle loi réduit la liberté d'expression dans la presse (16 juillet 1850). Les républicains se scindent : la majorité opte pour une action légale, la minorité, soutenue par les chefs en exil, préconise l'action de sociétés secrètes, qui sont particulièrement nombreuses dans la vallée du Rhône. Cette mise au silence de la faction républicaine n'est pas sans conséquences sur les relations entre le président et le parti de l'Ordre, qui se sentent désormais libre d'afficher des désaccords croissants avec Bonaparte, notamment en ce qui
concerne ses idées sociales. Ce dernier rend également les conservateurs responsables de la mutilation du suffrage universel, qu'il condamne. Peu à peu, un « parti de l’Élysée » se crée.
Fin du régime.
Ayant jugulé l'opposition républicaine, le parti de l'Ordre prépare l'avenir et tente la fusion des courants monarchistes légitimiste et orléaniste en vue d'établir une monarchie constitutionnelle. La mort de Louis-Philippe en 1850 semble en effet permettre d'établir une voie commune entre les deux factions. Cependant, l'intransigeance du comte de Chambord et de ses partisans légitimistes (notamment au sujet du drapeau tricolore et de l'idée d'une constitution libérale) ainsi que la perspective probable pour les orléanistes de voir l'un des héritiers de Louis-Philippe se présenter à l'élection en 1852 font échouer cette fusion. La position de Bonaparte en sort renforcée.
Pendant ce temps, le président se rend populaire auprès des militaires et effectue une tournée en province, séduisant tour à tour les républicains (en critiquant à mots voilés la loi électorale de mai 1850) et les conservateurs. Il se retrouve cependant confronté à un obstacle de taille : la Constitution lui interdit de se représenter en 1852. Au printemps 1851, il lance par l'entremise des préfets une campagne visant à populariser l'idée d'une révision de cette Constitution, mais il n'obtient pas les trois quarts des voix nécessaires à l'Assemblée le 19 juillet suivant. Envisageant alors un coup d’État, Bonaparte place ses fidèles à des positions stratégiques, notamment Saint-Arnaud au ministère de la Guerre. Ce dernier venant de rappeler aux soldats de Paris qu'ils lui doivent une totale obéissance, une partie de l'Assemblée prend peur, et rédige (principalement sous la plume des royalistes) la « proposition des questeurs », qui cherche à rappeler à l'armée que la Constitution prime sur toute hiérarchie militaire. Cependant,
une grande partie de la Montagne rejoint les bonapartistes pour voter contre cette proposition, voyant dans les orléanistes le plus grand danger.
Le coup d’État survient le 2 décembre 1851, date symbolique, anniversaire du sacre de Napoléon Ier et de la bataille d'Austerlitz. Au matin, une double proclamation à l'armée et au peuple est placardée dans Paris. La proclamation au peuple tient une ligne démagogique plus à gauche que l'Assemblée, promettant notamment le retour du suffrage universel et la fin des lentes délibérations. L'Assemblée est dissoute, le palais Bourbon envahi, les chefs républicains et orléanistes arrêtés. Lorsque 200 députés se réunissent dans un édifice voisin pour délibérer de la marche à suivre, tous sont arrêtés. Quelques élus ayant échappé aux rafles, comme Victor Hugo et Victor Schœlcher, tentent de mobiliser la population de Paris, qui n'a pas oublié les massacres de juin 1848 et reste donc plutôt en retrait. Le député Baudin est tué sur une barricade, ce qui suscite une amplification de l'insurrection. Dans le même temps, Saint-Arnaud demande que quiconque participe à la construction ou la défense de barricades soit exécuté. Une fusillade éclate également sur les boulevards, créant ensuite une certaine panique. Le 4 décembre au soir, la situation est calmée dans une ville de Paris terrorisée.
La marche vers l'Empire.
Alors que la province avait jusqu'à présent la réputation de toujours suivre les changements parisiens, elle marque son indépendance en décembre 1851. C'est en effet hors de Paris qu'une réelle résistance républicaine apparaît, originalité de ce coup d’État. Cette résistance républicaine en province, dans le Centre, le Sud-Ouest, en Languedoc et dans le Var, terrorise les notables par son ampleur en certains lieux où le sang coule. Certaines villes et même des départements tombent aux mains des insurgés, puis sont reconquis.
Cependant, une grande majorité des régions ne bouge pas, et la répression importante permet au régime de rassurer les notables.
Des proscriptions touchent de nombreux républicains, et les condamnations contre ceux qui se sont insurgés sont souvent dures. Cependant, Louis-Napoléon Bonaparte est gêné par cet état de fait : il ne souhaitait pas que son régime naquît dans un bain de sang, et prononce donc un certain nombre de grâces. Malgré cela, le prince-président s'est aliéné une grande partie des intellectuels français : beaucoup émigrent lorsqu'un serment de fidélité à Bonaparte est rendu obligatoire pour occuper certaines fonctions.
Les 21 et 22 décembre, après avoir rétabli le suffrage universel, le chef de l’État fait valider par la population son coup d’État, sous la forme d'un plébiscite. Avec 7,5 millions de « oui », contre 640 000 « non » et un million et demi d'abstentions, le changement est approuvé. Les rares villes où le « non » recueille la majorité des suffrages ne s'étaient pas insurgées : les villes révoltées, en revanche, ne se sont pas opposées par leur vote, trop effrayées par la répression.
À la suite de ce vote, Bonaparte met en place une nouvelle Constitution en 1852. Celle-ci prévoit que Bonaparte demeure président de la République, pendant dix ans. Le parlement est divisé en deux chambres, Corps législatif et Sénat, contrairement à l'unique assemblée de 1848. Le Sénat, dont les membres sont nommés à vie par le prince, est chargé de contrôler les lois votées par rapport à la constitution et à certains principes fondamentaux, et il peut seul proposer une modification de la constitution. Le Corps législatif, qui ne peut ni proposer ni amender les lois, est pour sa part élu au suffrage universel. Cependant, le régime use fortement de candidatures officielles pour garantir un corps législatif docile. De même, la liberté de la presse est limitée. Si le régime n'a pas officiellement recours à la censure, il envoie des «
avertissements » lorsqu'un article lui déplait, qui peuvent aboutir à la fin de la publication. Les journaux sont donc poussés à s'autocensurer. De fait, les élections de 1852 ne font sortir des urnes qu'une poignée d'opposants qui, refusant de prêter serment, n'entrent pas en exercice.
La transition de la Deuxième République vers le Second Empire est alors presque terminée. Le prince-président entreprend une tournée officielle en province, au cours de laquelle il prononce à Bordeaux en octobre : « L'Empire, c'est la paix ». Peu à peu, la nouvelle du changement de régime annoncé se répand. Le 7 novembre 1852, ce changement est proposé par le biais d'un sénatus-consulte.
Le 20 novembre, un nouveau plébiscite appelle le peuple à se prononcer sur ce choix. On compte 7 824 000 « oui » contre 253 000 « non ». Après cette validation populaire, Louis-Napoléon Bonaparte se fait proclamer empereur sous le nom de Napoléon III, le 2 décembre 1852, un an jour pour jour après le coup d’État, mais, avec une volonté plus symbolique, quarante-huit ans après le sacre de Napoléon Ier.
La culture politique sous la Deuxième République.
Les forces politiques.
Plusieurs courants de pensée coexistent durant la Deuxième République, dont l'évolution se révèle très forte. Ainsi, lors des débuts du régime, la polarisation se fait principalement entre les partisans d'une république sociale et les républicains plus modérés, ces derniers regroupant également des royalistes opportunément ralliés, provisoirement, au nouveau régime. L'entente est d'abord bonne entre les deux factions, organisées autour des journaux La Réforme et Le National. Si ce dernier domine très nettement, les deux courants sont représentés au sein du gouvernement provisoire. C’est à l’époque de cette union républicaine que sont adoptées un certain nombre de mesures progressistes et sociales (abolition de l'esclavage, fin de la peine de mort politique, baisse du temps de travail, ateliers nationaux). Les élections législatives de mai 1848 marquant une nette faiblesse du courant socialiste, celui-ci est progressivement exclu de la vie politique.
Le « danger rouge » étant provisoirement écarté, les monarchistes et conservateurs s'éloignent peu à peu des républicains modérés pour former le parti de l'Ordre, réuni autour des valeurs du catholicisme et du conservatisme, qui favorise l'accession de Louis-Napoléon Bonaparte au pouvoir. Aux élections législatives de mai 1849, les modérés sont marginalisés, leur courant étant dépassé à sa droite par le parti de l'Ordre, et à sa gauche par l’émergence du courant démocrate-socialiste, la Montagne. S'il est en partie décapité en juin, ce courant
parvient à se maintenir à l'Assemblée jusqu'à la fin de 1851 malgré les persécutions.
À l'opposé, le parti de l'Ordre voit émerger un nouveau concurrent qu'il a contribué à créer. Bonaparte s'émancipe en effet peu à peu des conservateurs, et rallie à lui des partisans attirés notamment par ses idées sociales. Un « parti de l’Élysée », bonapartiste, se forme, permettant la marche vers le coup d’État.
Une politisation progressive de la population.
La Deuxième République favorise, par le biais du suffrage universel, la politisation de la population. Dès le début du régime, la fin de la censure permet une circulation plus facile des idées, notamment au sein des milieux ouvriers. De très nombreux journaux, souvent éphémères, se créent : plus de 300 titres à Paris et quasiment autant en province. Les ateliers nationaux deviennent également un biais pour la propagation de la pensée socialiste chez les ouvriers, ce qui est un des motifs de leur fermeture. Cependant, au début de la République, cette circulation est surtout aisée dans la capitale, ce qui explique la crainte des socialistes face à des élections législatives qu'ils jugent prématurées, mais aussi la différence des cibles de la propagande gouvernementale lors de ces mêmes élections : alors que les idées socialistes sont combattues à Paris, c'est la monarchie qui est crainte en province, où la population pourrait être amenée à suivre les notables.
En province, les idées de la Montagne circulent aussi par le biais du folklore, des danses et des chansons. Les clubs et associations sont également un moyen important pour cette propagation au sein de la gauche, ce qui conduit le parti de l'Ordre à en faire interdire plusieurs. Ses propres idées, pour leur part, circulent surtout par le biais de l’Église, de ses missions et processions, et plus généralement par le rôle d'encadrement qu'il juge avoir sur la population. Une division provinciale se
crée (notamment visible lors des élections de 1849) avec une France conservatrice au nord et à l'ouest, et une France montagnarde au centre et à l'est : cette carte politique qui se révèle en 1849 s'avère durable.
La réaction au coup d’État du 2 décembre est représentative de l'évolution de l'engagement des populations. Alors que la population ouvrière parisienne, encore marquée par les journées de juin 1848, rechigne à défendre un régime qui l’a combattue, la province se mobilise fortement en plusieurs endroits. Cette insurrection de province suscite un long débat entre les conservateurs, qui y voient avant tout une jacquerie tant redoutée avec son lot de destructions et de pillages, et, au contraire, les républicains qui y voient un mouvement de défense de la République. Il est en effet difficile d'évaluer avec précision la limite entre l'engagement politique des paysans et les exactions aux causes plus locales, mais aussi la part d'implication des paysans dans ces mouvements.
Le rôle des femmes dans la vie politique.
La révolution de 1848 et la Deuxième République marquent une étape importante dans l'émergence politique des femmes, à l'époque encore considérées aux yeux de la loi comme mineures. Certaines femmes de lettres se manifestent ainsi politiquement, comme George Sand qui s'engage au côté du gouvernement provisoire. Plus encore, les libertés nouvellement acquises, notamment en ce qui concerne les droits de réunion et les publications, entrainent la naissance de plusieurs journaux féministes comme La Voix des femmes, La Politique des femmes ou encore L'Opinion des femmes. Au sein de ces journaux émergent des personnalités de premier plan, telles qu'Eugénie Niboyet, Jeanne Deroin et Désirée Gay. Il est cependant difficile de quantifier cette implication des femmes dans la révolution.
Bien que les femmes restent exclues du suffrage universel mis en place à l'époque, elles s'expriment notamment
par divers types de publications. Le fond de leur propos varie sans réelle unité. Certaines s'engagent pour le droit au travail, ce qui leur permet d'obtenir des ateliers nationaux qui leur sont destinés. Le désir d'égalité sur des sujets sociaux est également présent, et certaines s'engagent pour le rétablissement du divorce. Enfin, la question politique est importante, et des comités sont créés pour obtenir auprès du gouvernement un réel suffrage universel. Niboyet tente même d'obtenir la candidature de George Sand aux élections législatives, ce que celle-ci refuse. Elles bénéficient d'une certaine audience : ainsi, Armand Marrast, alors maire de Paris, reçoit une délégation de femmes et promet de rapporter leur parole à l'Assemblée.
Après les journées de Juin et le tournant conservateur, une vague d'antiféminisme déferle. Les femmes sont en effet soupçonnées d'avoir contribué aux soulèvements, et leur présence au sein des clubs est interdite dès le mois de juillet. Peu à peu, également, l'image d'une femme mal éduquée et trop soumise à la volonté du clergé émerge chez les républicains. Cette image, durable, reste longtemps leur argument rejetant le suffrage des femmes.
Arts et politique.
Les arts reflètent l'ambiance politique de l'époque. Les peintres se font l'écho de l'évolution du régime : L'Abolition de l'esclavage dans les colonies françaises en 1848 de François-Auguste Biard illustre bien l'utopie quarante-huitarde, tandis que le célèbre tableau Un enterrement à Ornans, de Gustave Courbet, crée la polémique en étant perçu comme une illustration de la déception du peintre après la victoire des conservateurs en 1849. Si on ne peut parler d'une peinture révolutionnaire, un tournant décisif s'amorce néanmoins, avec l'émergence d'une peinture davantage empreinte d'émotion et la naissance de la peinture de reportage, qui anticipe l'avènement de la photographie. Cette dernière est quant à elle utilisée comme source documentaire.
L'Illustration emploie ainsi des photos des personnalités ou des événements, comme la barricade de la rue Saint-Maur-Popincourt du 26 juin 1848, pour en tirer des gravures qu'elle publie.
Le théâtre, pour séduire un public que la crise politique et l'épidémie de choléra pourraient détourner, brocarde le régime à partir de la fin de l'année 1848, présentant la République comme l'héritière de la Terreur. Il s'en prend aussi violemment aux femmes qui militent pour leurs droits.
Héritage de la Deuxième République.
Influence du régime sur la pensée politique.
Bien qu'il s'agisse d'une période particulièrement courte, la Deuxième République fait figure de « laboratoire » et d'expérience dans la pratique républicaine en France. Dès 1852, Victor Hugo écrit dans Napoléon le Petit que, désormais, l'idée de République ne sera plus liée à celle de Terreur, car le régime n'a pas vécu dans le sang. Les journées de Juin contribuent pour leur part à la théorie de lutte des classes que définissent Karl Marx et Friedrich Engels à la même époque. L'enthousiasme des premiers mois de 1848 est également une période fondatrice pour les socialistes, et fait naître chez eux l'idée que le socialisme est l'aboutissement de l'idéal républicain. C'est une idée que reprend notamment Jean Jaurès dans son discours d'Albi, en 1903. Les années conservatrices de 1849 et 1850, avec notamment la loi Falloux, ont également un effet sur la mentalité républicaine en accroissant leur anticléricalisme. C'est ainsi que le combat pour la laïcité sera un des grands enjeux de la Troisième République.
Cependant, cette période républicaine ne donne pas d'héritage qu'à la gauche. Cette période sans monarque permet en effet à certains conservateurs, qu'ils soient légitimistes ou orléanistes, de voir que le concept de république ne remet pas forcément en cause ni leurs biens, ni leurs principes. C'est ainsi qu'un homme comme Adolphe Thiers, qui a accepté la Deuxième République comme une contrainte temporaire, deviendra l'un des fondateurs de la Troisième. C'est donc de cette période que la gauche et la droite contemporaines tirent une partie de leurs racines communes.
La fin de la Deuxième République et le coup d’État de Bonaparte ont également durablement marqué la vie politique française, en donnant naissance à une certaine peur du suffrage universel. La dérive du régime fait apparaître la nécessité d'éduquer le peuple pour lui permettre de voter : l'éducation des masses sera un enjeu de la Troisième République. L'élection de Louis-Napoléon Bonaparte en 1848 a prouvé que le suffrage universel pouvait devenir un danger pour la démocratie lorsqu'il sert à plébisciter un nom célèbre suscitant des espérances diverses et contradictoires.
Cette élection du président de la République au suffrage universel est donc durablement rejetée. Lors de l'établissement des lois constitutionnelles de 1875, les radicaux vont jusqu'à demander la suppression de la fonction présidentielle, et son élection est finalement l’œuvre des chambres législatives. Il en va de même au début de la Quatrième République où le souvenir de Bonaparte, mêlé à celui, plus récent, de Pétain, pousse à rejeter à nouveau le suffrage universel pour l'élection présidentielle. De même, lorsque Charles de Gaulle propose un référendum pour que le président soit de nouveau élu au suffrage universel, le tollé de la part de la classe politique (à l'exception des gaullistes de l'UNR) est général, sans pour autant empêcher une nette majorité du « oui » de l'emporter.
Persistance de la Deuxième République dans la culture.
Après sa chute, le régime reste très présent dans la littérature, sous la plume d'écrivains comme Gustave Flaubert, qui le met en scène en 1869 dans L'Éducation sentimentale, ou encore de Victor Hugo qui en dresse un portrait élogieux en opposition tranchée avec le Second Empire. D'autres témoins de l'époque ont laissé de précieuses sources, qu'il s'agisse des mémoires de Charles de Rémusat, d'Alexis de Tocqueville, ou de la correspondance de George Sand. Karl
Marx a également analysé cette époque sous l'optique de la "lutte des classes".
Par la suite, le cinéma aussi s'inspire de la période, par exemple avec le documentaire 1848 commenté par Bernard Blier, qui est, en 1950, nominé pour l'Oscar du meilleur court métrage documentaire.
Historiographie.
L'historiographie de la Deuxième République a longtemps été principalement limitée aux mois de 1848 suivant la révolution : ceux qui ont traité cette période ont souvent été guidés par leurs opinions politiques lorsqu'ils ont mis en place, tantôt la « légende rose » d'une République progressiste apportant la fin de l'esclavage, le suffrage universel et le début de la résolution de la question sociale, traîtreusement abattue par « Badinguet » ; tantôt la « légende noire » d'une République idéaliste, sombrant dans l'improvisation stérile et dangereuse. Cela s'est longtemps traduit par une opposition entre historiens spécialistes de la Seconde République et du Second Empire, les uns et les autres s'accusant mutuellement d'une trop grande complaisance à l'égard de leur sujet d'étude.
Depuis le milieu du XXe siècle, cependant, les historiens se penchent de plus en plus sur la période de 1849 à 1851, qui voit le centre de la vie politique française se déplacer de Paris vers la province par le biais du suffrage universel. Cette dynamique trouve son origine dans le paradigme labroussien alors en vogue, qui privilégie les études à l'échelle régionale ou départementale. Par ailleurs des historiens étrangers se sont penchés sur le xixe siècle français, avec une approche plus culturelle que politique, contribuant à un renouvellement historiographique. Tous ces travaux entraînent une meilleure compréhension, moins politisée, du régime. Toutefois les recherches sur les années 1849 et 1850 restent trop peu nombreuses par rapport à celles sur le début et la fin du
régime.
Table des matières
Table des matières
Deuxième République.
1
Crise économique et impossible réforme de la monarchie de Juillet.
2
La révolution de 1848.
5
Histoire du régime.
7
Gouvernement provisoire et tentatives sociales.
7
Les élections d'avril 1848 et l'Assemblée constituante.
9
La commission exécutive et les journées de juin.
10
La République conservatrice.
12
L'élection présidentielle de décembre 1848.
14
Les élections législatives de 1849.
15
Crépuscule d'une République avortée.
17
Fin du régime.
19
La marche vers l'Empire.
20
La culture politique sous la Deuxième République.
23
Les forces politiques.
23
Une politisation progressive de la population.
24
Le rôle des femmes dans la vie politique.
25
Arts et politique.
26
Héritage de la Deuxième République.
28
Influence du régime sur la pensée politique.
28
Persistance de la Deuxième République dans la culture.
29
Historiographie.
30
Pablo Rodriguez
2023-01-21T15:52:52.437000000
3
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TD informatique
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Table des matières
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Deuxième République.
1
Crise économique et impossible réforme de la monarchie de Juillet.
2
La révolution de 1848.
5
Histoire du régime.
7
Gouvernement provisoire et tentatives sociales.
7
Les élections d'avril 1848 et l'Assemblée constituante.
9
La commission exécutive et les journées de juin.
10
La République conservatrice.
12
L'élection présidentielle de décembre 1848.
14
Les élections législatives de 1849.
15
Crépuscule d'une République avortée.
17
Fin du régime.
19
La marche vers l'Empire.
20
La culture politique sous la Deuxième République.
23
Les forces politiques.
23
Une politisation progressive de la population.
24
Le rôle des femmes dans la vie politique.
25
Arts et politique.
26
Héritage de la Deuxième République.
28
Influence du régime sur la pensée politique.
28
Persistance de la Deuxième République dans la culture.
29
Historiographie.
30
Image représentant napoléon debout, la main sur son ventre et dans sa veste.
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John Bean
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2023-02-22T22:03:19.724000000
John Bean
PT21M17S
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Le bal des sceaux
56
LE
BAL
DE
SCEAUX.
Monsieur le comte de Fontaine, chef de l'une des plus anciennes familles du Poitou, avait servi la cause des Bourbons avec intelligence et courage pendant les longues guerres que les Vendéens firent à la république. Après avoir eu le bonheur d'échapper à la mort, en courant les dangers dont les soldats royalistes étaient menacés durant cette orageuse et salutaire époque de l'histoire contemporaine, il disait gaîment : Je suis un de ceux qui se sont fait tuer sur les marches du trône ! Mais cette plaisanterie n'était pas sans quelque vérité pour un homme laissé parmi les morts à la sanglante journée des Quatre-Chemins. Quoique ruiné par des confiscations, ce fidèle Vendéen refusa constamment de remplir les places lucratives qui lui furent offertes par l'empereur Napoléon. Invariable dans sa religion aristocratique, il en avait aveuglément suivi les maximes quand il jugea convenable de se choisir une compagne. Au mépris des séductions dont l'entourait la famille d'un riche parvenu de la révolution, l'ex-comte épousa une jeune fille sans fortune qui appartenait à la meilleure maison de la province.
La restauration surprit M. de Fontaine chargé d'une nombreuse famille. Quoiqu'il n'entrât pas dans les idées du généreux gentilhomme de solliciter des grâces, il céda néanmoins aux désirs de sa femme, quitta la petite terre dont le revenu modique suffisait à peine aux besoins de ses enfants, et vint à Paris. Contristé de l'avidité avec laquelle ses anciens camarades convoitaient la curée des places et des dignités créées par l'empire, il allait retourner à sa terre, lorsqu'il reçut une lettre ministérielle, dans laquelle une Excellence assez connue lui annonçait sa nomination au grade de maréchal-de-camp, en vertu de l'ordonnance qui permettait aux officiers des armées catholiques de compter les vingt premières années du règne de. Louis XVIII comme années de service. Puis, quelques jours après, le Vendéen reçut, sans aucune sollicitation , et d'office, l'ordre de la Légion d'Honneur et celui de Saint-Louis.
Ébranlé dans sa résolution par ces grâces successives, dont il se croyait redevable au souvenir du monarque , il pensa qu'il ne devait plus se contenter de mener sa famille, comme il l'avait pieusement fait chaque dimanche, crier vive lé Roi dans la salle des maréchaux, quand les princes se rendaient à la chapelle. Il sollicita la faveur d'une entrevue particulière. Cette audience lui fut gracieusement accordée, mais n'eut rien de particulier. Le salon royal était plein de vieux serviteurs dont les têtes poudrées, vues d'une certaine hauteur, ressemblaient à un
tapis de neige. Le gentilhomme retrouva beaucoup d'anciens compagnons qui le reçurent d'un air un peu froid. Les princes lui parurent adorables. Cette expression d'enthousiasme lui échappa, quand le plus gracieux de ses maîtres, dont il ne se croyait connu que de nom, vint à lui, lui serra la main et le proclama à haute voix, le plus pur des Vendéens. Mais aucune de ces royales personnes n'eut l'idée de lui demander ni le compte des pertes qu'il avait subies, ni celui de l'argent qu'il avait versé dans les caisses de l'armée catholique. Il s'aperçut, un peu tard, qu'il avait fait la guerre à ses dépens. Vers la fin de la soirée, il hasarda une allusion fort spirituelle à l'état de ses affaires, état qui devait être celui de bien des gentilshommes. Sa majesté se prit à rire d'assez bon cœur, car tout ce qui était marqué au coin de l'esprit avait le don de lui plaire ; mais elle répliqua par une de ces royales plaisanteries dont la douceur est plus à craindre que la colère d'une réprimande. Un des plus intimes confidents du roi ne tarda pas à s'approcher du Vendéen calculateur, et fit entendre à M. de Fontaine, par une phrase fine et polie, que le moment n'était pas encore venu de compter avec les maîtres ; qu'il y avait sur le tapis des mémoires plus arriérés que le sien, et qui devaient sans doute servir à l'histoire de la révolution.
Le comte sortit prudemment du groupe vénérable qui décrivait un respectueux demi- cercle devant l'auguste famille ; puis après avoir, non sans peine, dégagé son épée parmi les jambes grêles où elle était engagée, il regagna pédestrement, à travers la cour des Tuileries, le fiacre qu'il avait laissé en station sur le quai. Avec cet esprit rétif qui distingue la noblesse de vieille roche, chez laquelle le souvenir de la Ligue et des Barricades n'est pas encore éteint, il se plaignit dans le fiacre, à haute voix et de manière à se compromettre, sur le changement survenu à la cour. — Autrefois, se disait-il, chacun parlait librement ; au roi de ses petites affaires, et tous les seigneurs pouvaient à leur aise lui demander des grâces et de l'argent. Ne voilà-t-il pas qu'aujourd'hui l'on n'obtiendra pas, sans scandale, de se faire rembourser les sommes avancées pour son service ! Morbleu ! la croix de Saint-Louis et le grade de maréchal-de-camp ne valent pas six cent mille livres que j'ai bel et bien dépensées pour la cause royale. Je veux parler au roi, en face, et dans son cabinet.
Cette scène refroidit d'autant plus le zèle de M. de Fontaine, que ses demandes d'audience restèrent constamment sans réponse, et qu'il vit les intrus de
l'empire arriver à quelques-unes des charges réservées sous l'ancienne monarchie aux meilleures maisons.
— Tout est perdu, dit-il un matin. Je crois, morbleu, que le roi s'est fait révolutionnaire. Sans Monsieur, qui au moins ne déroge pas, et console ses fidèles serviteurs, je ne sais en quelles mains irait un jour la couronne de France, si cela continuait. Décidément, ce qu'ils appellent le régime constitutionnel est le plus mauvais de tous les gouvernements, et ne pourra jamais convenir à la France. Louis XVIII a tout gâté à Saint-Ouen.
Le comte, désespéré, se préparait à retourner à sa terre, en abandonnant avec noblesse ses prétentions à une indemnité. Tout à coup, les événements du vingt mars annoncèrent une nouvelle tempête qui menaça d'engloutir la légitimité et ses défenseurs. Semblable à ces gens généreux qui ne renvoient pas un serviteur par un temps de pluie, M. de Fontaine emprunta sur sa terre, pour suivre la monarchie en déroute, sans savoir si cette complicité d'émigration lui serait plus propice que son dévouement passé. Il avait, il est vrai, remarqué qu'à la cour les compagnons de l'exil étaient mieux reçus et plus avancés en faveur que les braves qui avaient protesté, les armes à la main, contre l'établissement de la république ; et peut-être espérait-il trouver dans ce voyage plus de profit que dans un service actif et périlleux à l'intérieur. Ses calculs de courtisanerie ne furent pas une de ces vaines spéculations qui, après avoir promis sur le papier des résultats superbes, ruinent par leur exécution. Il fut un des cinq cents fidèles, serviteurs qui partagèrent l'exil de la cour à Gand, et l'un des cinquante mille qui en revinrent.
Pendant cette courte absence de la royauté, M. de Fontaine eut le bonheur d'être employé par Louis XVIII. Il eut plus d'une occasion de donner au roi des preuves d'une grande probité politique et d'un attachement sincère. Un soir, où le monarque n'avait rien de mieux à faire, il se souvint du bon mot dit par M. de Fontaine aux Tuileries. Le vieux Vendéen ne laissa pas échapper un tel à-propos, et raconta son histoire assez spirituellement pour que ce roi, qui n'oubliait rien, pût se la rappeler en temps utile. L'auguste littérateur remarqua la tournure fine donnée à quelques notes dont il avait confié la rédaction au discret gentilhomme, et cette dernière circonstance inscrivit M. de Fontaine, dans la mémoire du roi, parmi les plus loyaux serviteurs de sa couronne. Au second retour, le comte fut un de ces envoyés extraordinaires qui parcoururent les départements, avec la mission
de juger souverainement les fauteurs de la rébellion. Il usa modérément du terrible pouvoir qui lui était confié ; puis, aussitôt que cette juridiction temporaire eut cessé, il s'assit dans un des fauteuils du conseil-d ‘état, devint député, parla peu, écouta beaucoup, et changea considérablement d'opinion. Quelques circonstances qui ont échappé à l'investigation des plus curieux biographes, le firent entrer assez avant dans l'intimité du prince, pour qu'un jour le malicieux monarque l'interpellât ainsi en le voyant entrer : — Mon ami Fontaine, je ne m'aviserais pas de vous nommer directeur général ni ministre ! Ni vous ni moi si nous étions employés ne resterions en place, à cause de nos opinions. Le gouvernement représentatif a cela de bon qu'il nous ôte la peine que nous avions jadis, de renvoyer nous-mêmes nos pauvres amis les secrétaires d'état. Notre conseil est une véritable hôtellerie, où l'opinion publique nous envoie souvent de singuliers voyageurs, mais enfin nous saurons toujours où placer nos fidèles serviteurs.
Cette ouverture moqueuse fut suivie d'une ordonnance qui donnait à M. de Fontaine l'administration du domaine extraordinaire de la Couronne. Par suite de l'intelligente attention avec laquelle il écoutait les phrases sardoniques de son royal ami, son nom se trouva sur les lèvres du prince, toutes les fois qu'il fallut créer une commission dont les membres devaient être lucrativement appointés. Il eut le bon esprit de taire la faveur dont l'honorait le monarque, et sut l'entretenir par la manière piquante dont il racontait secrètement, dans une de ces causeries familières dont Louis XVIII était aussi avide que de billets agréablement écrits, toutes les anecdotes politiques, et, s'il est permis de se servir de cette expression, les cancans diplomatiques ou parlementaires dont l'époque était passablement féconde. On sait que les détails de sa gouvemementabilité, mot adopté par l'auguste railleur, l'amusaient infiniment. Grâces au bon sens, à l'esprit et à l'adresse de M. le comte de Fontaine, chaque membre de sa nombreuse famille, quelque jeune qu'il fût, finit, ainsi qu'il le disait plaisamment à son maître, par se poser comme un ver-à-soie sur les feuilles du budget. Ainsi, par les bontés du roi, l'aîné de ses fils parvint à une place fort éminente dans la magistrature inamovible. Le second, simple capitaine avant la restauration, obtint une légion immédiatement après son retour de Gand ; puis, à la faveur des mouvements de 1815, pendant lesquels on observa peu les règlements, il passa dans la garde royale, repassa dans les gardes-du-corps, revint dans la ligne, et se trouva lieutenant-général avec un commandement dans la Garde, après l'affaire du Trocadéro. Le
dernier, nommé sous-préfet, ne tarda pas à devenir maître des requêtes et directeur d'une administration municipale de la Ville de Paris, où il était à l'abri des tempêtes législatives. Ces grâces sans éclat, secrètes comme la faveur du comte, passaient inaperçues. Quoique le père et les trois fils eussent chacun assez de sinécures pour jouir d'un revenu budgétif presque aussi considérable que celui d'un directeur-général, leur fortune politique n'excita l'envie de personne. Dans ces temps de premier établissement du système constitutionnel, peu de personnes avaient dès idées justes sur les régions paisibles du budget, dans lesquelles d'adroits favoris surent trouver l'équivalent des abbayes détruites. M. le comte de Fontaine, qui naguère encore se vantait de n'avoir pas lu la Charte, et se montrait si courroucé contre l'avidité des courtisans, ne tarda pas à faire voir à son auguste maître qu'il comprenait aussi bien que lui, l'esprit et les ressources du représentatif.
Cependant, malgré la sécurité des carrières qu'il avait ouvertes à ses trois fils; malgré les avantages pécuniaires qui résultaient du cumul de quatre places, M. de Fontaine se trouvait à la tête d'une famille trop nombreuse pour pouvoir rétablir promptement et facilement sa fortune. Ses trois fils étaient riches d'avenir, de faveur et de talent ; mais il avait trois filles, et craignait de lasser la bonté du monarque. Il imagina de ne jamais lui parler que d'une seule de ces vierges pressées d'allumer leur flambeau. Le roi avait trop bon goût pour laisser son œuvre imparfaite, il aida au mariage de la première avec un receveur-général, par une de ces phrases royales qui ne coûtent rien et valent des millions. Un soir que le monarque était maussade, il se mit à sourire en apprenant qu'il existait encore une demoiselle de Fontaine, et lui trouva pour mari un jeune magistrat d'extraction bourgeoise, il est vrai, mais riche, plein de talent, et qu'il prit plaisir à créer baron. Mais lorsque le Vendéen parla de mademoiselle Emilie de Fontaine, le roi lui répondit, de sa petite voix aigrelette :
— Amicus Plato, sed magis amica Natio. Puis, quelques jours après, il régala son ami Fontaine d'un quatrain assez innocent qu'il appelait une épigramme, et dans lequel il le plaisantait sur ses trois filles si habilement produites sous la forme d'une trinité ; c'était, s'il faut en croire la chronique, dans l'unité des trois personnes divines que le monarque avait été chercher son bon mot.
— Si Votre Majesté daignait changer son épigramme en épithalame, dit le comte en essayant de faire tourner cette boutade à son profit.
— Je n'en vois pas la rime, répondit aigrement le roi, qui ne goûta point cette plaisanterie faite sur sa poésie quelque douce qu'elle fût.
Dès ce jour, son commerce avec M. de Fontaine eut moins d'aménité. Sans doute il s'était lassé de son favori. Comme presque tous les enfants venus les derniers, Emilie de Fontaine était un Benjamin gâté par tout le monde. Le refroidissement du monarque fit donc d'autant plus de peine au comte, que jamais mariage ne fut plus difficile à conclure que l'était celui de cette fille chérie. Pour concevoir tous ces obstacles, il faut pénétrer dans l'enceinte du bel hôtel où l'administrateur était logé aux dépens de la Liste Civile.
Emilie, ayant passé son enfance à la terre de Fontaine, y avait joui de cette abondance qui suffit aux premiers plaisirs de la jeunesse. Ses moindres désirs y étaient des lois pour ses sœurs, pour ses frères, pour sa mère, et même pour son père. Tous ses parents en raffolaient. Arrivée à l'âge de raison, précisément au moment où sa famille fut comblée des faveurs de la fortune, l'enchantement de sa vie continua. Le luxe dont elle fut entourée lui sembla tout aussi naturel que l'étaient cette richesse de fleurs ou de fruits, et cette opulence champêtre qui avaient fait le bonheur de ses premières années. De même qu'elle n'avait éprouvé aucune contrariété dans son enfance, quand elle voulait satisfaire de joyeux désirs ; de même elle se vit encore obéie, lorsqu'à l'âge de quatorze ans elle se lança dans le tourbillon du monde. Comprenant ainsi, par degrés, les jouissances de la fortune, elle apprécia les avantages de la parure, devint amoureuse de l'élégance, s'habitua aux dorures des salons, au luxe des équipages, aux compliments flatteurs, aux recherches de la toilette, aux bijoux, aux parfums des fêtes, aux vanités de la cour. Tout lui souriait. Elle vit de la bienveillance pour elle, dans tous les yeux ; et comme la plupart des enfants gâtés, elle en profita pour tyranniser ceux qui l'aimaient, tandis qu'elle réservait ses coquetteries aux indifférents. Ses défauts ne firent que grandir avec elle. Son père et sa mère devaient tôt ou tard recueillir les fruits amers de cette éducation funeste. Mademoiselle Émilie de Fontaine était arrivée à l'âge de dix-neuf ans sans avoir voulu faire de choix parmi les nombreux jeunes gens dont la politique de M. de Fontaine peuplait ses fêtes. Cette jeune personne jouissait dans le monde de toute la liberté d'esprit que peut y avoir une
femme mariée. Sa beauté était si remarquable, que, pour elle, paraître dans un salon, c'était y régner. Semblable aux rois, elle n'avait pas d'amis, et devenait partout l'objet d'une flatterie à laquelle un naturel meilleur que le sien n'eût peut-être pas résisté. Aucun homme, fût-ce même un vieillard, n'avait la force de contredire les opinions d'une jeune fille dont un seul regard ranimait l'amour dans un cœur froidi. Élevée avec des soins qui avaient manqué à ses sœurs, elle peignait assez bien et dessinait encore mieux. Elle était d'une force désespérante sur le piano, avait une voix délicieuse, et savait entretenir une conversation spirituelle sur toutes les littératures. Elle parlait l'italien et l'anglais. Enfin, elle aurait pu faire croire que, comme dit Mascarille, les gens de qualité viennent au monde en sachant tout. Elle éblouissait les gens superficiels ; quant aux gens profonds, son tact naturel l'aidait à les reconnaître, et pour eux elle déployait tant de coquetterie, qu'à la faveur de ses séductions, elle savait échapper à leur examen. Elle raisonnait facilement peinture, italienne, flamande, Moyen-âge, Renaissance, littérature anglaise, jugeait à tort et à travers, faisait ressortir avec une cruelle grâce d'esprit les défauts d'un ouvrage; et la plus simple de ses phrases était reçue par la foule idolâtre, comme par les Turcs un fefta du Sultan. Ce vernis séduisant, cette brillante écorce couvraient un cœur insouciant, l'opinion commune à beaucoup de jeunes filles que personne n'habitait une sphère assez élevée pour pouvoir comprendre l'excellence de son âme, et un orgueil qui s'appuyait autant sur sa naissance que sur sa beauté. En l'absence du sentiment violent qui règne tôt ou tard dans le cœur d'une femme, elle portait sa jeune ardeur dans un amour immodéré des distinctions, et témoignait le plus profond mépris pour tous les gens qui n'étaient pas nobles. Fort impertinente avec la nouvelle noblesse, elle faisait tous ses efforts pour que ses parents marchassent de pair au milieu des familles les plus anciennes du faubourg Saint Germain.
Ces sentiments n'avaient pas échappé à l’œil observateur.de M. de Fontaine, qui plus d'une fois eut à gémir des sarcasmes et des bons mots d’Émilie, lorsqu'il maria ses deux premières filles. Les gens logiques s'étonneront d'avoir vu le vieux Vendéen donner sa première fille à un receveur-général qui, à la vérité, possédait bien quelques anciennes terres seigneuriales, mais dont le nom n'était cependant pas précédé de cette particule à laquelle le trône dut tant de défenseurs, et la seconde à un magistrat baronnifié, mais trop récemment encore pour faire oublier que le père avait vendu des fagots. Ce notable changement dans les idées du noble
Vendéen, et au moment où il atteignait sa soixantième année, époque à laquelle les hommes quittent rarement leurs croyances, n'était pas dû seulement à la déplorable habitation de la moderne Babylone où tous les gens de province finissent par perdre leurs rudesses; la nouvelle conscience politique du comte de Fontaine était encore le résultat de l'amitié du roi et de ses conseils. Ce prince philosophe avait pris plaisir à convertir le Vendéen aux idées qu'exigeaient la marche du dix-neuvième siècle et la rénovation de la monarchie.
Louis XVIII voulait fondre les partis, comme Napoléon avait fondu les choses et les hommes. Le roi légitime, peut-être aussi spirituel que son rival, agissait en sens contraire. Le chef de la maison de Bourbon était aussi empressé à satisfaire le tiers-état et les gens de l'empire, en contenant le clergé, que le premier des Napoléon avait été jaloux d'attirer auprès de lui les grands seigneurs ou à doter l'église. Confident des royales pensées, le conseiller d'état était insensiblement devenu l'un des chefs les plus influents et les plus sages de ce parti modéré qui désirait vivement, au nom de l'intérêt national, la fusion de toutes les opinions. Il prêchait les coûteux principes du gouvernement constitutionnel et secondait de toute sa puissance les jeux de la bascule politique qui permettait à son maître de gouverner la France au milieu des agitations de la révolution renaissante. Peut-être M. de Fontaine se flattait-il d'arriver à la pairie par un de ces coups de vent législatifs dont il voyait des effets si bizarres ; car un de ses principes les plus fixes consistait à ne plus reconnaître en France d'autre noblesse que la pairie, puisque les familles à manteau bleu étaient les seules qui eussent des privilèges. — En effet, disait-il, comment concevoir une noblesse sans privilèges ? c'est un manche sans outil. Aussi éloigné du parti de M. de Lafayette que du parti de M. de La Bourdonnaye, il entreprenait avec ardeur la réconciliation générale, d'où devaient sortir une ère nouvelle et de brillantes destinées pour la France. Il cherchait à convaincre toutes les familles chez lesquelles il avait accès, du peu de chances favorables qu'offraient désormais la carrière militaire et l'administration; il engageait les mères à lancer leurs enfants dans les professions indépendantes et industrielles, en leur donnant à entendre que les emplois militaires et les hautes fonctions du gouvernement finiraient par appartenir très constitutionnellement aux cadets des familles nobles de la pairie, et que la nation avait conquis une part assez large dans l'administration par son assemblée élective, par les places de la
magistrature, et par celles de la finance qui seraient toujours l'apanage des notabilités du tiers-état.
Les nouvelles idées du chef de la famille de Fontaine, et les sages alliances qui en étaient résultées pour ses deux premières filles avaient rencontré une forte opposition au sein de son ménage. La comtesse de Fontaine resta fidèle aux vieilles croyances aristocratiques, peut-être parce qu'elle appartenait aux Montmorency du côté de sa mère. Aussi s'opposa-t-elle un moment au bonheur et à la fortune qui attendaient ses deux filles aînées ; mais elle fut forcée de céder à ces considérations secrètes que les époux se confient le soir quand leurs têtes reposent sur le même oreiller. M. de Fontaine démontra froidement à sa femme par d'exacts calculs, que le séjour de Paris, l'obligation d'y représenter, la splendeur de sa maison (splendeur qu'il ne blâmait pas puisqu'elle les dédommageait, quoique tardive, des privations qu'ils avaient courageusement partagées au fond de la Vendée); les dépenses faites pour leurs fils absorbaient la plus grande partie de leur revenu budgétaire. Il fallait donc saisir, comme une faveur céleste, l'occasion qui se présentait pour eux d'établir leurs filles aussi richement ; elles devaient jouir un jour de soixante ou quatre-vingt mille livres de rente ; des mariages aussi avantageux ne se rencontraient pas tous les jours pour des filles sans dot; enfin, il était temps de penser à économiser, pour augmenter les revenus de la terre de Fontaine afin de reconstruire territorialement l'antique fortune de leur famille. Madame de Fontaine céda, comme toutes les mères l'auraient fait, à sa place, quoique de meilleure grâce peut-être, à des arguments aussi persuasifs ; mais elle déclara qu'au moins sa fille Émilie serait mariée au gré de l'orgueil qu'elle avait malheureusement contribué à développer dans cette jeune âme.
Ainsi les événements qui auraient dû répandre la joie dans cette famille, y introduisirent un léger levain de discorde. Le receveur-général et le jeune président furent en butte aux froideurs d'un cérémonial tout particulier que la comtesse et sa fille Émilie eurent le talent de créer. Leur étiquette trouva bien plus amplement lieu d'exercer ses tyrannies domestiques, lorsque le lieutenant-général épousa la fille unique d'un banquier ; quand le magistrat se maria avec une demoiselle dont le père, tout millionnaire qu'il était, avait fait le commerce des toiles peintes ; et que le troisième frère se montra fidèle à ces doctrines roturières en prenant sa jeune épouse dans la famille d'un riche notaire de Paris. Les trois
belles-sœurs et les deux beaux-frères trouvaient tant de charmes et d'avantages personnels à rester dans la haute sphère des puissances politiques, à parcourir les salons du faubourg Saint-Germain, qu'ils s'accordèrent tous, pour former une petite cour à la hautaine Émilie. Ce pacte d'intérêt et d'orgueil n'était cependant pas tellement bien cimenté que la jeune souveraine n'excitât souvent des révolutions dans son petit état. Des scènes que le bon ton ne pouvait entièrement désavouer entretenaient, entre tous les membres de cette puissante famille, une humeur moqueuse qui, sans altérer sensiblement l'amitié affichée en public, dégénérait quelquefois dans l'intérieur en sentimens peu charitables. Ainsi, la femme du lieutenant-général, devenue vicomtesse, se croyait tout aussi noble qu'une Rohan, et prétendait que cent bonnes mille livres de rente lui donnaient le droit d'être aussi impertinente que l'était sa belle-sœur Émilie, à laquelle elle souhaitait par fois avec ironie un mariage heureux, en annonçant que la fille de tel pair venait d'épouser monsieur un tel, tout court. La femme du baron de Fontaine s'amusait à éclipser Émilie, par le bon goût et la richesse qui se faisaient remarquer dans ses toilettes, ses ameublemens et ses équipages. L'air moqueur dont les belles-sœurs et les deux beaux-frères accueillaient quelquefois les prétentions avouées par mademoiselle de Fontaine excitait chez elle un courroux qui ne se calmait jamais que par une grêle d'épigrammes. Lorsque le chef de la famille éprouva quelque refroidissement dans la tacite et précaire amitié du monarque, il trembla d'autant plus, que, par suite des défis railleurs de ses sœurs, jamais sa fille chérie n'avait jeté ses vues si hautes.
Ce fut au milieu de ces circonstances et au moment où cette petite lutte domestique était devenue fort grave, que le monarque auprès duquel M. de Fontaine croyait rentrer en grâce, fut attaqué de la maladie dont il devait périr. En effet, le grand politique qui sut si bien conduire sa nauf au sein des orages ne tardèrent pas à succomber. Incertain de la faveur à venir, le comte de Fontaine fit les plus grands efforts pour rassembler autour de sa dernière fille, l'élite des jeunes gens à marier. Ceux qui ont été à même de chercher à résoudre le problème difficile de l'établissement d'une fille orgueilleuse et fantasque, comprendront peut-être les peines que se donna le pauvre Vendéen. Achevée au gré de son enfant chéri, cette dernière entreprise aurait couronné dignement la carrière que le comte parcourait depuis dix ans à Paris. Par la manière dont sa famille envahissait les traitemens de tous les ministères, elle pouvait se comparer à la
maison d'Autriche, qui, par ses alliances, menace d'envahir l'Europe. Aussi le vieux Vendéen ne se rebutait-il pas dans ses présentations de prétendus, tant il avait à cœur le bonheur de sa fille. Mais rien n'était plus plaisant que la manière dont l'impertinente créature prononçait ses arrêts et jugeait le mérite de ses adorateurs. On eût dit que, semblable à l'une de ces princesses des Mille et un Jours, elle fût assez riche, assez belle pour avoir le droit de choisir parmi tous les princes du monde. Elle faisait mille objections plus bouffonnes les unes que les autres. Tantôt l'un avait les jambes trop grosses ou les genoux cagneux, l'autre était myope ; celui-ci s'appelait Durand ; celui-là boitait; presque tous étaient trop gras. Et plus vive, plus charmante, plus gaie que jamais, après avoir rejeté deux ou trois prétendus, elle s'élançait vers les fêtes de l'hiver et courait au bal où ses yeux perçans examinaient les célébrités du jour ; où souvent, à l'aide de son ravissant babil, elle parvenait à deviner les secrets du cœur le plus dissimulé, où elle se plaisait à tourmenter tous les jeunes gens et à exciter avec une coquetterie instinctive des demandes qu'elle rejetait toujours.
La nature lui avait donné en profusion les avantages nécessaires au rôle qu'elle jouait. Grande et svelte, Émilie de Fontaine avait une démarche imposante ou folâtre, à son gré. Son cou un peu long lui permettait de prendre de merveilleuses attitudes de dédain et d'impertinence. Elle s'était faite un fécond répertoire de ces airs de tête et de ces gestes féminins qui expliquent si cruellement ou si heureusement les demi-mots et les sourires. De beaux cheveux noirs, des sourcils très fournis et fortement arqués prêtaient à sa physionomie une expression de fierté que la coquetterie autant que son miroir lui avaient appris à rendre terrible ou à tempérer par la fixité ou par la douceur de son regard, par l'immobilité ou par les légères inflexions de ses lèvres, par la froideur ou la grâce de son sourire. Quand Émilie voulait s'emparer d'un cœur, sa voix pure ne manquait pas de mélodie ; mais elle savait aussi lui imprimer une sorte de clarté brève, quand elle entreprenait de paralyser la langue indiscrète d'un cavalier. Sa figure blanche et son front de marbre étaient semblables à la surface limpide d'un lac qui tour à tour se ridait sous l'effort d'une brise on reprenait sa sérénité joyeuse. Plus d'un jeune homme en proie à ses dédains, l'accusait de jouer la comédie ; mais il y avait tant de feu et tant de promesses dans ses yeux noirs, qu'elle faisait bondir les cœurs de ses élégants danseurs, sous leurs fracs noirs. Parmi les jeunes filles à la mode, nulle ne savait mieux qu'elle prendre un air de
hauteur en recevant le salut d'un homme qui n'avait que du talent, déployer cette politesse insultante pour les personnes qu'elle regardait comme ses inférieures, et déverser son impertinence sur tous ceux qui essayaient de marcher de pair avec elle. Elle semblait, partout où elle se trouvait, recevoir plutôt des hommages que des compliments ; et, même chez une princesse, sa tournure et ses airs eussent converti le fauteuil sur lequel elle se serait assise en un trône impérial.
Alors, mais trop tard, M. de Fontaine découvrit combien l'éducation de la fille qu'il aimait le plus, avait été faussée par la tendresse dont elle était encore l'objet. L'admiration que le monde témoigne d'abord à une jeune personne, et dont il se venge plus tard, avait encore exalté l'orgueil d’Émilie et accru sa confiance en elle-même. Les bontés dont elle était comblée par tous ceux qui l'entouraient, développèrent dans son cœur l'égoïsme naturel aux enfants gâtés qui, semblables à des rois, s'amusent de tout ce qui les approche. En ce moment, la grâce de la jeunesse et le charme des talents cachaient à tous les yeux ces défauts, d'autant plus odieux chez une femme qu'elle ne peut plaire que par le dévouement et l'abnégation. Mais rien n'échappe à l’œil d'un bon père. M. de Fontaine voulut essayer d'expliquer à sa fille les principales pages du livre énigmatique de la vie, vaine entreprise. Il eut trop souvent à gémir sur l'indocilité capricieuse et la sagesse ironique de sa fille, pour persévérer dans une tâche aussi difficile que l'était celle de corriger un si pernicieux naturel. Il se contenta de donner de temps à autre des conseils pleins de douceur et de bonté; mais il avait la douleur de voir ses plus tendres paroles glisser sur le cœur de sa fille comme s'il eût été de marbre.
Les yeux d'un père se dessillent si tard, qu'il fallut au vieux Vendéen plus d'une épreuve pour s'apercevoir de l'air de condescendance avec laquelle sa fille lui accordait de rares caresses. Elle ressemblait à ces jeunes enfants qui paraissent dire à leur mère : — Dépêche-toi de m'embrasser pour que j'aille jouer. Enfin, Émilie daignait avoir de la tendresse pour ses parents. Mais souvent par des caprices soudains qui semblent inexplicables chez les jeunes filles, elle s'isolait, et ne se montrait plus que rarement. Elle se plaignait d'avoir à partager avec trop de monde le cœur de son père et de sa mère. Elle devenait jalouse de tout, même de ses frères et de ses sœurs ; et après avoir pris bien de la peine à créer un désert autour d'elle, elle accusait la nature entière de ce qu'elle restait seule. Armée de son expérience de vingt ans, elle condamnait le sort, parce que, ne sachant pas que
le premier principe du bonheur est en nous, elle demandait aux choses de la vie de le lui donner. Elle aurait fui au bout du globe, pour éviter des mariages semblables à ceux de ses deux sœurs ; et parfois, elle avait dans le cœur une affreuse jalousie de les voir mariées, riches et heureuses. Enfin, quelquefois elle donnait à penser à sa mère, victime de ses procédés tout autant que M. de Fontaine, qu'elle était en proie à quelque folie. Mais cette aberration était assez explicable. En effet, rien n'est plus commun que cette secrète fierté née au cœur des jeunes personnes que la nature a douées d'une grande beauté, et qui appartiennent à une famille un peu élevée sur l'échelle sociale. Puis elles sont presque toutes persuadées que leurs mères, arrivées à l'âge de quarante ou cinquante ans, ne peuvent plus ni sympathiser avec leurs jeunes âmes, ni en concevoir les fantaisies. Elles s'imaginent que la plupart des mères jalouses de leurs filles, veulent les habiller à leur mode dans le dessein prémédité de les éclipser et de leur ravir des hommages. De là, souvent, des larmes secrètes ou de sourdes révoltes contre la prétendue tyrannie maternelle. Au milieu de ces chagrins qui deviennent réels, quoique assis sur une base imaginaire, elles ont encore la manie de composer un thème pour leur existence, et se tirent à elles-mêmes leur horoscope, sans autre magie que celle de prendre leurs rêves pour des réalités. Ainsi elles résolvent secrètement dans leurs longues méditations de n'accorder leur cœur et leur main qu'à l'homme qui possédera tel ou tel avantage. Elles dessinent clans leur imagination un type auquel il faut, bon gré mal gré, que leur futur ressemble, et ce n'est qu'après avoir expérimenté la vie et fait les réflexions sérieuses qu'amènent les années, à force de voir le monde et son train prosaïque, à force d'exemples malheureux, que les brillantes couleurs de leur figure idéale s'abolissent, et qu'elles se trouvent un beau jour, au milieu du courant de la vie, tout étonnées d'être heureuses sans la nuptiale poésie de leurs rêves. Mademoiselle Émilie de Fontaine avait, suivant cette poétique, arrêté, dans sa fragile sagesse, un programme auquel devrait se conformer celui qu'elle aimerait. De là ses dédains et ses impertinents sarcasmes.
— Avant tout, s'était-elle dit, il sera jeune, et de noblesse ancienne. Encore faut-il qu'il soit pair de France ou fils aîné d'un pair : il me serait insupportable de ne pas voir mes armes peintes sur les panneaux de ma voiture au milieu des plis flottants d'un manteau d'azur, et de ne pas courir comme les princes dans la grande allée des Champs-Élysées de Longchamp. Puis, mon père prétend que ce sera un jour la plus belle dignité de France. Je le veux militaire, en me réservant de lui
faire donner sa démission ; mais je le veux décoré, pour que l'on nous porte les armes.
Ces rares qualités n'étaient rien, si cet être de raison n'avait pas encore une grande amabilité, une jolie tournure, de l'esprit, enfin s'il n'était pas svelte. La maigreur, cette grâce du corps, quelque fugitive qu'elle pût être, surtout dans un gouvernement représentatif, était une qualité de rigueur. Mademoiselle de Fontaine avait une certaine mesure idéale qui lui servait de modèle, et le jeune homme qui, au premier coup d’œil, ne remplissait pas les conditions voulues par le prospectus, n'obtenait même pas un second regard.
— O mon Dieu ! qu'il est gras, était chez elle la plus haute expression de son mépris.
A l'entendre, les gens d'une honnête corpulence étaient incapables de sentiments, mauvais maris et indignes d'entrer dans une société civilisée. Quoique ce fût une beauté recherchée en Orient chez les femmes, l'embonpoint était un malheur ; mais, chez un homme, c'était un crime.
Ces opinions paradoxales amusaient, grâces à une certaine gaîté d'élocution ; mais M. de Fontaine sentit que plus tard les prétentions de sa fille, dont certains esprits féminins, clairvoyants et peu charitables, commençaient à apercevoir le ridicule, deviendraient un fatal sujet de raillerie. Il craignit que les idées bizarres de sa fille ne se changeassent en mauvais ton. Il tremblait même que le monde impitoyable ne se moquât déjà d'une personne qui restait si longtemps en scène sans donner un dénouement au drame qu'elle y jouait. Plus d'un acteur, mécontent d'un refus, paraissait attendre le moindre incident malheureux pour se venger. Les indifférées, les oisifs, commençaient à se lasser, car l'admiration semble être une fatigue pour l'espèce humaine. Le vieux, Vendéen savait mieux que personne que s'il n'existe qu'un moment pour entrer sur les tréteaux du monde, sur ceux de la cour, dans un salon, ou sur la scène, il n'y en a non plus qu'un pour en sortir. Aussi, pendant le premier hiver qui suivit l'avènement de S. M. Charles X au trône, redoubla-t-il d'efforts, conjointement avec ses trois fils et ses gendres, pour réunir dans les brillants salons de son hôtel les meilleurs partis que Paris et les différentes députations des départements pouvaient présenter. L'éclat de ses fêtes, le luxe de sa salle à manger et ses dîners parfumés de truffes
rivalisaient avec les célèbres repas par lesquels les ministres du temps s'assuraient le vote de leurs soldats parlementaires. L'honorable Vendéen fut signalé comme un des plus puissants corrupteurs de la probité législative de celte chambre qui sembla mourir d'indigestion. Chose bizarre! Les efforts qu'il faisait pour marier sa fille, le maintinrent dans une éclatante faveur. Peut-être trouva-t-il quelque avantage secret à vendre deux fois ses truffes. Cette accusation due à certains libéraux railleurs, qui se vengeaient, par l'abondance des paroles, de la rareté de leurs adhérents dans la chambre, n'eut aucun succès. La conduite du gentilhomme poitevin était en général si noble et si honorable, qu'il ne reçut pas une seule de ces épigrammes dont les malins journaux de cette époque assaillirent les trois cents votants du centre, les ministres, les cuisiniers, les directeurs généraux, les princes de la fourchette et les défenseurs d'office qui soutenaient l'administration-Villèle.
A la fin de cette campagne, pendant laquelle M. de Fontaine avait, à plusieurs reprises, fait donner toutes ses troupes, il crut que son assemblée de prétendus ne serait pas, cette fois, une fantasmagorie pour sa fille, et qu'il était temps de la consulter. Il avait une certaine satisfaction intérieure d'avoir si bien rempli son devoir de père ; et, comme il avait fait flèche de tout bois, il espérait que, parmi tant de cœurs offerts à la capricieuse Émilie, il pouvait s'en rencontrer au moins un qu'elle eût distingué. Incapable de renouveler cet effort, il était comme lassé de la conduite de sa fille. Vers la fin du carême, un matin que la séance de la chambre ne réclamait pas trop impérieusement son vote, il résolut de faire un coup d'autorité. Pendant qu'un valet de chambre dessinait artistement, sur son crâne jaune, le delta de poudre qui complétait, avec des ailes de pigeon pendantes, sa coiffure vénérable, le père d’Émilie ordonna, non sans une secrète émotion, à un vieux serviteur d'aller avertir l'orgueilleuse demoiselle de comparaître immédiatement devant le chef de la famille.
— Joseph, dit-il au valet de chambre qui avait achevé sa coiffure, ôtez cette serviette, tirez ces rideaux, mettez ces fauteuils en place, secouez le tapis de la cheminée, essuyez partout... Allons ! Donnez un peu d'air à mon cabinet en ouvrant la fenêtre.
Le comte, en multipliant ses ordres, essouffla Joseph, qui devina les intentions de son maître, et restitua quelque fraîcheur à cette pièce naturellement la plus négligée de toute la maison. Il réussit à imprimer une sorte d'harmonie à des
monceaux de compte, quelque symétrie aux cartons, aux livres et aux meubles de ce sanctuaire où se débattaient les intérêts du domaine de la couronne. Quand Joseph eut achevé de mettre un peu d'ordre dans ce chaos et de placer en évidence, comme dans un magasin de nouveautés, les choses qui pouvaient être les plus agréables à voir et produire par leurs couleurs une sorte de poésie bureaucratique, il s'arrêta au milieu du dédale des paperasses qui, en quelques endroits, étaient étalées même jusque sur le tapis, il s'admira lui-même un moment, hocha la tête et sortit. Mais le sinécuriste ne partagea pas la bonne opinion de son serviteur. Avant de s'asseoir dans son immense fauteuil à oreilles, il jeta un regard de méfiance autour de lui, examina d'un air hostile la blancheur de sa robe de chambre, en chassa quelques grains de tabac, s'essuya soigneusement le nez, rangea les pelles et les pincettes, attisa le feu, releva les quartiers de ses pantoufles, rejeta en arrière sa petite queue qui s'était horizontalement logée entre le col de son gilet et celui de sa robe de chambre ; puis, après lui avoir fait reprendre sa position perpendiculaire , il donna un coup de balai aux cendres d'un foyer qui pouvait attester l'obstination de son cathare. Enfin le vieux Vendéen ne s'assit qu'après avoir repassé une dernière fois en revue son cabinet, en espérant que rien n'y pourrait donner lieu à ces remarques aussi plaisantes qu'impertinentes par lesquelles sa fille avait coutume de répondre à ses sages avis. En cette occurrence, il ne voulait pas compromettre sa dignité paternelle. Il prit délicatement une prise de tabac, et toussa deux ou trois fois comme s'il se disposait à demander l'appel nominal ; car il entendait le pas léger de sa fille qui entra en fredonnant un air de l'opéra d'il Barbiere.
— Bonjour, mon père. Que me voulez-vous donc si matin ?
Et, après ces paroles jetées comme la ritournelle de l'air qu'elle chantait, elle embrassa le comte, non pas avec cette tendresse familière qui rend le sentiment filial chose si douce, mais avec l'insouciante légèreté d'une maîtresse sûre de toujours plaire, quoi qu'elle fasse.
— Ma chère enfant, dit gravement M. de Fontaine, je t'ai fait venir pour causer très sérieusement avec toi, sur ton avenir. La nécessité où tu es en ce moment de choisir un mari de manière à assurer ton bonheur...
— Mon bon père, répondit Émilie en employant les sons les plus caressants de sa voix pour l'interrompre, il me semble que l'armistice que nous avons conclu relativement à mes prétendus n'est pas encore expiré.
— Émilie, cessons aujourd'hui de badiner sur un sujet aussi important. Depuis quelque temps les efforts de ceux qui t'aiment véritablement, ma chère enfant, se réunissent pour te procurer un établissement convenable, et ce serait te rendre coupable d'ingratitude que d'accueillir légèrement les marques d'intérêt que je ne suis pas seul à te prodiguer.
En entendant ces paroles la jeune fille avait jeté un regard malicieusement investigateur sur les meubles du cabinet paternel. Elle alla prendre celui des fauteuils qui paraissait avoir le moins servi aux solliciteurs, l'apporta elle-même de l'autre côté de la cheminée, de manière à se placer en face de son père, prit une attitude si grave qu'il était impossible de n'y pas voir les traces d'une moquerie, et se croisa les bras sur la riche garniture d'une pèlerine à la neige dont elle froissa les nombreuses ruches de tulle. Après avoir regardé de côté, et en riant, la figure soucieuse de son vieux père, elle rompit le silence : — Je ne vous ai jamais entendu dire, mon bon père, que le gouvernement fit ses communications en robe de chambre. — Mais, ajouta-t-elle en souriant, n'importe, le peuple n'est pas difficile. Voyons donc vos projets de loi et vos présentations officielles...
— Je n'aurai pas toujours la facilité de vous en faire, jeune folle ! Enfin, écoute Émilie ? mon intention n'est pas de compromettre plus longtemps mon caractère, qui est une partie de la fortune de mes enfants, à recruter ce régiment de danseurs que tu mets en déroute à chaque printemps. Déjà tu as été la cause innocente de bien des brouilleries dangereuses avec certaines familles, j'espère que tu comprendras mieux aujourd'hui les difficultés de ta position et de la nôtre. Tu as vingt ans, ma fille, et voici près de trois ans que tu devrais être mariée. Tes frères, tes deux sœurs sont tous établis richement et heureusement. Mais, mon enfant, les dépenses que nous ont suscitées ces mariages et le train de maison que tu fais tenir à ta mère ont absorbé tellement nos revenus, que c'est tout au plus si je pourrai te donner cent mille francs de dot. Dès aujourd'hui je veux m'occuper du sort à venir de ta mère qui ne doit pas être sacrifiée à ses enfants. Je veux, Émilie, si je venais à manquer à ma famille, que madame de Fontaine ne soit à la merci de personne, et continue à jouir de l'aisance dont j'ai récompensé trop tard son dévouement à mes
malheurs. Tu vois, mon enfant, que la faiblesse de ta dot ne saurait être en harmonie avec tes idées de grandeur... Encore sera-ce un sacrifice que je n'ai fait pour aucun autre de mes enfants ; mais ils se sont généreusement accordés à ne pas se prévaloir un jour de l'avantage que nous ferons, ta mère et moi, à un enfant trop chéri.
— Dans leur position ! dit Emilie en agitant la tête avec ironie.
— Ma fille, que je ne vous entende jamais déprécier ainsi ceux qui vous aiment. Sachez qu'il n'y a que les pauvres de généreux ! Les riches ont toujours d'excellentes raisons pour ne pas abandonner vingt mille francs à un parent... Eh bien! ne boude pas, mon enfant! et parlons raisonnablement : parmi les jeunes gens de notre société, n'as-tu pas remarqué M. de Montalant ?
— Oh! il dit zeu au lieu de jeu, il regarde toujours son pied parce qu'il le croit petit, et il se mire! D'ailleurs, il est blond, je n'aime pas les blonds
— Eh bien ! M. de Grosbois ?
— Il n'est pas noble. Il est mal fait et gros. A la vérité il est brun. Il faudrait que ces deux messieurs s'entendissent pour réunir leurs fortunes, et que le premier donnât son corps et son nom au second, qui garderait ses cheveux, et alors... peut-être.
— Qu'as-tu à dire contre M. de Saluces ?
— Il s'est fait banquier. — M. de Comines ?
— Il danse mal ; mais, mon père, tous ces gens-là n'ont pas de titres. Je veux être au moins comtesse comme l'est ma mère.
— Tu n'as donc vu personne cet hiver qui...
— Non, mon père.
— Que veux-tu donc ? — Le fils d'un pair de France.
— Ma fille, dit M. de Fontaine en se levant, vous êtes folle !
Mais tout à coup il leva les yeux au ciel, sembla puiser une dose plus forte de résignation dans une pensée religieuse ; puis, jetant un regard de pitié paternelle sur son enfant qui devint émue, il lui prit la main, la serra, et lui dit avec
attendrissement : — Dieu m'est témoin ! pauvre créature égarée, que j'ai consciencieusement rempli mes devoirs de père envers toi, que dis-je, consciencieusement ! avec amour, mon Émilie. Oui, Dieu sait que, cet hiver, j'ai amené près de toi plus d'un honnête homme dont les qualités, les mœurs, le caractère m'étaient connus, et tous nous ont paru dignes de toi. Mon enfant, ma tâche est remplie. D'aujourd'hui je te rends l'arbitre de ton sort, me trouvant heureux et malheureux tout ensemble de me voir déchargé de la plus lourde des obligations paternelles. Je ne sais pas si longtemps encore tu entendras une voix qui, par malheur, n'a jamais été sévère; mais souviens-toi que le bonheur conjugal ne se fonde pas tant sur des qualités brillantes et sur la fortune, que sur une estime réciproque. Cette félicité est, de sa nature, modeste et sans éclat. Va, ma fille, mon aveu est acquis à celui que tu me présenteras pour gendre ; mais si tu devenais malheureuse, songe que tu n'auras pas le droit d'accuser ton père. Je ne me refuserai pas à faire des démarches et à t'aider ; seulement si tu fais un choix, qu'il soit définitif ; je ne compromettrai pas deux fois le respect dû à mes cheveux blancs.
L'affection que lui témoignait son père, et l'accent solennel qu'il mit à son onctueuse allocution touchèrent vivement mademoiselle de Fontaine ; mais elle dissimula son attendrissement, sauta sur les genoux du comte qui s'était assis tout tremblant encore , lui fit les caresses les plus douces, et le câlina avec une grâce féminine si suave que le front du vieillard se dérida. Quand Émilie jugea que son père était remis de sa pénible émotion, elle lui dit à voix basse :
— Je vous remercie bien de votre gracieuse attention, mon cher père. Vous avez arrangé votre appartement pour recevoir votre fille chérie. Vous ne saviez peut-être pas la trouver si folle et si rebelle. Mais, mon père , est-ce donc bien difficile d'épouser un pair de France ? Vous prétendiez qu'on en faisait par douzaines. Ah ! vous ne me refuserez pas des conseils au moins !
— Non ! pauvre enfant ! non ! et je te crierai plus d'une fois : Prends garde ! Songe donc que la pairie est un ressort trop nouveau dans notre gouvernementabilité, comme disait le feu roi, pour que les pairs puissent posséder de grandes fortunes. Ceux qui sont riches veulent le devenir encore plus. Le plus opulent de tous les membres de notre pairie n'a pas la moitié du revenu que possède le moins riche lord de la chambre haute du parlement anglais. Or, les pairs
de France chercheront tous de riches héritières pour leurs fils, n'importe où elles se trouveront ; et la nécessité où ils sont tous de faire des mariages d'argent durera encore plus d'un siècle. Il est possible qu'en attendant l'heureux hasard que tu désires, recherche qui peut te coûter tes plus belles années, tes charmes (car on s'épouse considérablement par amour dans notre siècle), tes charmes, dis-je, opèrent un prodige. Lorsque l'expérience se cache sous un visage aussi frais que le tien, l'on peut en espérer des merveilles. N'as-tu pas d'abord la facilité de reconnaître les vertus dans le plus ou le moins de volume que prennent les corps. Ce n'est pas un petit mérite. Aussi n'ai-je pas besoin de prévenir une personne aussi sage que toi de toutes les difficultés de l'entreprise. Je suis certain que tu ne supposeras jamais à un inconnu du bon sens en lui voyant une figure flatteuse, ou des vertus, parce qu'il aura une jolie tournure. Enfin je suis parfaitement de ton avis sur l'obligation dans laquelle sont tous les fils de pair d'avoir un air à eux et une manière tout-à-fait distinctive. Quoiqu’aujourd’hui rien ne marque le haut rang, ces jeunes gens-là auront pour toi, peut-être, un je ne sais quoi qui te les révélera. D'ailleurs tu tiens ton cœur en bride comme un bon cavalier certain de ne pas laisser broncher son coursier. Ma fille ! Bonne chance. — Tu te moques de moi, mon père. Eh bien ! je te déclare que j'irai plutôt mourir au couvent de mademoiselle de Condé, que de ne pas être la femme d'un pair de France.
Elle s'échappa des bras de son père, et, toute fière d'être sa maîtresse, elle s'en alla en chantant l'air de Cara non dubitare du Matrimonio secreto. Ce jour-là, le hasard fit que la famille se trouva réunie pour fêter l'anniversaire d'une fête domestique. Au dessert, madame Bonneval, la femme du receveur général et l'aînée d’Émilie, parla assez hautement d'un jeune Américain, possesseur d'une immense fortune, qui, devenu passionnément épris de sa sœur, lui avait fait des propositions extrêmement brillantes.
— C'est un banquier, je crois, dit négligemment Émilie. Je n'aime pas les gens de finance.
- Mais, Émilie, répondit le baron de Villaine, le mari de la seconde sœur de mademoiselle de Fontaine, vous n'aimez pas non plus la magistrature, de manière que je ne vois pas trop, si vous repoussez les propriétaires non titrés, dans quelle classe vous choisirez un mari.
— Surtout, Émilie, avec ton système de maigreur, ajouta le lieutenant-général.
— Je sais, répondit la jeune fille, ce qu'il me faut.
— Ma sœur veut un grand nom, dit la baronne de Fontaine, et cent mille livres de rente.
— Je sais, ma chère sœur, reprit Émilie, que je ne ferai pas un sot mariage comme j'en ai tant vu faire. D'ailleurs, pour éviter ces discussions nuptiales que j'exècre, je déclare que je regarderai comme les ennemis de mon repos ceux qui me parleront de mariage.
Un oncle d’Émilie, dont la fortune venait de s'augmenter d'une vingtaine de mille livres de rente, par suite de la loi d'indemnité, vieillard septuagénaire qui était en possession de dire de dures vérités à sa petite-nièce dont il raffolait, s'écria, pour dissiper l'aigreur de cette conversation : — Ne tourmentez donc pas cette pauvre Émilie. Ne voyez-vous pas qu'elle attend la majorité du duc de Bordeaux ?
Un rire universel accueillit la plaisanterie du vieillard.
-Prenez garde que je ne vous épouse, vieux fou ! s'écria la jeune fille, dont heureusement les dernières paroles furent étouffées par le bruit.
— Mes enfants, dit madame de Fontaine pour adoucir cette impertinence, Émilie ne prendra conseil que de sa mère, de même que vous avez tous pris conseil de votre père.
— O mon Dieu ! je n'écouterai que moi dans une affaire qui ne regarde que moi ? dit fort distinctement mademoiselle de Fontaine.
Tous les regards se portèrent alors sur le chef de la famille. Chacun semblait être curieux de voir comment il allait s'y prendre pour maintenir sa dignité. Non-seulement, le vénérable Vendéen jouissait d'une grande considération dans le monde, mais encore, plus heureux que bien des pères, il était apprécié par sa famille dont tous les membres avaient su reconnaître les qualités solides qui lui servirent à faire la fortune de tous ses parents. Aussi était-il entouré de ce profond respect qui règne dans les familles anglaises et dans quelques maisons aristocratiques du continent pour le représentant de l'arbre généalogique. Il
s'établit un profond silence, et les yeux des convives se portèrent alternativement sur la figure boudeuse et altière de l'enfant gâté et sur les visages sévères de monsieur et de madame de Fontaine.
— J'ai laissé ma fille Émilie maîtresse de son sort, fut la réponse que laissa tomber le comte d'un son de voix profond et agité. Tous les parents et les convives regardèrent mademoiselle de Fontaine avec une curiosité mêlée de pitié. Cette parole semblait annoncer que la bonté paternelle s'était lassée de lutter contre un caractère que toute la famille savait être incorrigible. Les gendres murmurèrent, et les frères lancèrent à leurs femmes des sourires moqueurs. Puis, dès ce moment, chacun cessa de s'intéresser au mariage de l'orgueilleuse fille. Son vieil oncle fut le seul qui, en sa qualité d'ancien marin, osât courir des bordées avec elle, et essuyer ses boutades, sans être jamais embarrassé de lui rendre feu pour feu.
Quand la belle saison fut venue après le vote du budget, cette famille, véritable modèle des familles parlementaires de l'autre bord de la Manche, qui ont un pied dans toutes les administrations et dix voix aux Communes, s'envola, comme une nichée d'oiseaux, vers les beaux sites d'Aulnay, d'Antony et de Châtenay. L'opulent receveur général avait récemment acheté dans ces parages une maison de campagne pour sa femme, qui ne restait à Paris que pendant les sessions. Quoique la belle Émilie méprisât la roture, ce sentiment n'allait pas jusqu'à dédaigner les avantages de la fortune amassée par des bourgeois. Elle accompagna donc sa sœur à sa villa somptueuse, moins par amitié pour les personnes de sa famille qui s'y réfugièrent, que parce que le bon ton ordonne impérieusement à toute femme qui se respecte d'abandonner Paris pendant l'été. Les vertes campagnes de Sceaux remplissaient admirablement bien les conditions du compromis signé entre le bon ton et le devoir des charges publiques. Comme il est un peu douteux que la réputation du bal champêtre de Sceaux ait jamais dépassé la modeste enceinte du département de la Seine, il est nécessaire de donner quelques détails sur cette fête hebdomadaire qui, par son importance, menace de devenir une institution. Les environs de la petite ville de Sceaux jouissent d'une renommée due à des sites qui passent pour être ravissants. Peut-être sont-ils fort ordinaires et ne doivent-ils leur célébrité qu'à la stupidité des bourgeois de Paris, qui, au sortir des abîmes de moellon où ils sont ensevelis, seraient disposés à admirer une plaine de la Beauce. Cependant les poétiques
ombrageux d'Aulnay, les collines d'Antony et de Fontenay-aux-Roses étant habités par quelques artistes qui ont voyagé, par des étrangers, gens fort difficiles, et par nombre de jolies femmes qui ne manquent pas de goût, il est à croire que les Parisiens ont raison. Mais Sceaux possède un autre attrait non moins puissant pour le Parisien. Au milieu d'un jardin d'où la vue découvre de délicieux aspects, se trouve une immense rotonde, ouverte de toutes parts, dont le dôme aussi léger que vaste est soutenu par d'élégants piliers. Sous ce dais champêtre est une salle de danse célèbre. Il est rare que les propriétaires les plus collets-montés du voisinage n'émigrent pas une fois ou deux, pendant la saison, vers ce palais de la Terpsychore villageoise, soit en cavalcades brillantes, soit dans ces élégantes et légères voitures qui saupoudrent de poussière les piétons philosophes. L'espoir de rencontrer là quelques femmes du beau monde et d'en être vu, l'espoir moins souvent trompé d'y voir de jeûnes paysannes aussi rusées que des juges, fait accourir le dimanche, au bal de Sceaux, de nombreux essaims de clercs d'avoués, de disciples d'Esculape et de jeunes gens dont le teint blanc et la fraîcheur sont entretenus par l'air humide des arrière-boutiques parisiennes. Aussi bon nombre de mariages bourgeois ont-ils commencé aux sons de l'orchestre qui occupe le centre de cette salle circulaire. Si le toit pouvait parler, que d'amours ne raconterait-il pas ? Cette intéressante mêlée rend le bal de Sceaux plus piquant que ne le sont deux ou trois autres bals des environs de Paris, sur lesquels sa rotonde, la beauté du site et les agréments de son jardin lui donnent d'incontestables avantages. Émilie fut la première à manifester le désir d'aller faire peuple à ce joyeux bal de l'arrondissement, en se promettant un énorme plaisir à se trouver au milieu de cette assemblée. C'était la première fois qu'elle désirait errer au sein d'une telle cohue : l'incognito est, pour les grands, une très vive jouissance. Mademoiselle de Fontaine se plaisait à se figurer d'avance toutes ces tournures citadines ; elle se voyait laissant dans plus d'un cœur bourgeois le souvenir d'un regard et d'un sourire enchanteurs. Elle mit déjà des danseuses à prétentions, et taillait ses crayons pour les scènes dont elle comptait enrichir les pages de son album satyrique.
Le dimanche n'arriva jamais assez tôt au gré de son impatience. La société du pavillon Bonneval se mit en route à pied, afin de ne pas commettre d'indiscrétion sur le rang des personnages qui allaient honorer le bal de leur présence. On avait dîné de bonne heure, et, pour comble de plaisir, le mois de mai favorisa cette
escapade aristocratique par la plus belle de ses soirées. Mademoiselle de Fontaine fut toute surprise de trouver, sous la rotonde, quelques quadrilles composés de personnes qui paraissaient appartenir à la bonne compagnie. Elle vit bien, çà et là, quelques jeunes gens qui semblaient avoir employé les économies d'un mois pour briller pendant une journée, et reconnut plusieurs couples dont la joie trop franche n'accusait rien de conjugal ; mais elle n'eut qu'à glaner au lieu de récolter. Elle s'étonna de voir le plaisir habillé de percale ressembler si fort au plaisir vêtu de satin, et la bourgeoisie danser avec autant de grâce que la noblesse, quelquefois mieux. La plupart des toilettes étaient simples, mais bien portées. Enfin les députés qui, dans cette assemblée, représentaient les suzerains du territoire, c'est-à-dire les paysans, se tenaient dans leur coin avec une incroyable politesse. Il fallut même à mademoiselle Emilie une certaine étude des divers éléments qui composaient cette réunion avant qu'elle pût y trouver un sujet de plaisanterie. Mais elle n'eut ni le temps de se livrer à ses malicieuses critiques, ni le loisir d'entendre beaucoup de ces propos interrompus que les caricaturistes recueillent avec délices. L'orgueilleuse créature rencontra subitement dans ce vaste champ, une fleur, la métaphore est de saison, dont l'éclat et les couleurs agirent sur son imagination avec tout le prestige d'une nouveauté. Il nous arrive souvent de regarder une robe, une tenture, un papier blanc avec assez de distraction pour n'y pas apercevoir sur-le-champ une tache ou quelque point brillant, qui : plus tard frappent tout à coup notre œil comme s'ils y survenaient à l'instant seulement où nous les voyons. Mademoiselle de Fontaine reconnut, par une espèce de phénomène moral assez semblable à celui-là, dans un jeune homme qui s'offrit à ses regards, le type des perfections extérieures qu'elle rêvait depuis si longtemps. Elle était assise sur une de ces chaises grossières qui décrivaient l'enceinte obligée de la salle, et s'était placée à l'extrémité du groupe formé par sa famille, afin de pouvoir se lever ou s'avancer suivant ses fantaisies. Elle en agissait effectivement avec les tableaux offerts par cette salle, comme si c'eût été une exposition du musée. Elle braquait avec impertinence son lorgnon sur une figure qui se trouvait à deux pas d'elle, et faisait ses réflexions comme si elle eût critiqué ou loué une tête d'étude, une scène de genre. Ses regards, après avoir erré sur cette vaste toile animée, furent tout à coup saisis par une figure qui semblait avoir été mise exprès dans un coin du tableau, sous le plus beau jour, comme un personnage hors de toute proportion avec le reste.
L'inconnu était rêveur et solitaire. Légèrement appuyé sur une des colonnes qui supportent le toit, il avait les bras croisés et se tenait penché comme s'il se fût placé là pour permettre à un peintre de faire son portrait. Mais cette attitude pleine d'élégance et de fierté, paraissait être une pose sans affectation. Aucun geste ne démontrait qu'il eût mis sa face de trois quarts et faiblement incliné sa tête à droite, comme Alexandre, lord Byron, et quelques autres grands génies, dans le seul but d'attirer sur lui l'attention. Son regard fixe et immobile qui suivait les mouvements d'une danseuse, prouvait qu'il était absorbé par quelque sentiment profond. Il avait une taille svelte et dégagée qui rappelait à la mémoire les belles proportions de l'Apollon. De beaux cheveux noirs se bouclaient naturellement sur son front élevé. D'un seul coup d’œil mademoiselle de Fontaine remarqua la finesse de son linge, la fraîcheur de ses gants de daim, évidemment pris chez le bon faiseur, et la petitesse d'un pied merveilleusement chaussé dans une botte en peau d'Irlande. Il n'avait sur lui aucun de ces ignobles brimborions dont se chargent les anciens petits-maîtres de la garde nationale, ou les Adonis de comptoir. Seulement un ruban noir auquel était suspendu son lorgnon flottait sur un gilet d'une blancheur irréprochable. Jamais la difficile Émilie n'avait vu les yeux d'un homme ombragés par des cils aussi longs et aussi recourbés. La mélancolie et la passion respiraient dans cette figure d'un teint olivâtre et mâle. Sa bouche semblait toujours prête à sourire et à relever les coins de deux lèvres éloquentes ; mais cette disposition n'annonçait pas de gaîté. C'était plutôt une sorte de grâce triste. L'observateur le plus rigide n'aurait pu s'empêcher, en voyant l'inconnu, de le prendre pour un homme de talent attiré par quelque intérêt puissant à celte fête de village. Il y avait trop d'avenir dans cette tête, trop de distinction dans sa personne, pour qu'on pût en dire : — Voilà un bel homme ou un joli homme. Il était un de ces personnages qu'on désire connaître.
Cette masse d'observations ne coûta guère à Émilie qu'un moment d'attention, pendant lequel cet homme privilégié fut soumis à une analyse sévère, après laquelle il devint l'objet d'une secrète admiration. Elle ne se dit pas : — Il faut qu'il soit pair de France ! mais — Oh ! s'il est noble, et il doit l'être.... Sans achever sa pensée, elle se leva tout à coup, elle alla, suivie de son frère le lieutenant-général, vers cette colonne en paraissant regarder les joyeux quadrilles ; par un artifice d'optique familier à plus d'une dame, elle ne perdait pas un seul des mouvements du jeune homme dont elle s'approcha ; mais il s'éloigna poliment
pour céder la place aux deux survenant, et s'appuya sur une autre colonne. Émilie fut aussi piquée de la politesse de l'étranger qu'elle l'eût été d'une impertinence, et se mit à causer avec son frère en élevant la voix beaucoup plus que le bon ton ne le voulait. Elle prit des airs de tête, fit des gestes gracieux, et rit sans trop en avoir sujet, moins pour amuser son frère, que pour attirer l'attention de l'imperturbable inconnu. Aucun de ces petits artifices ne réussit. Alors mademoiselle de Fontaine suivit la direction que prenaient les regards du jeune homme, et aperçut la cause de cette insouciance apparente. Au milieu du quadrille qui se trouvait devant elle, dansait une jeune personne simple, pâle, et semblable à ces déités écossaises que Gïrodet a placées dans son immense composition des guerriers français reçus par Ossian. Émilie crut reconnaître en elle une jeune vicomtesse anglaise qui était venue habiter depuis peu une campagne voisine. Elle avait pour cavalier un jeune homme de quinze ans, aux mains rouges, en pantalon de nankin, en habit bleu, en souliers blancs, qui prouvait que son amour pour la danse ne la rendait pas difficile sur le choix de ses partenaires. Ses mouvements ne se ressentaient pas de son apparente faiblesse, mais une rougeur légère colorait déjà ses joues blanches, et son teint commençait à s'animer.
Mademoiselle de Fontaine s'approcha du quadrille pour pouvoir examiner l'étrangère au moment où elle reviendrait à sa place, pendant que les vis-à-vis répéteraient la figure qu'elle exécutait alors. Lorsque Emilie commença cet examen, elle vit l'inconnu s'avancer, se pencher vers la jolie danseuse, et put entendre distinctement ces paroles, quoique prononcées d'une voix à la fois impérieuse et douce : — Clara, je ne veux plus que vous dansiez. Clara fit une petite moue boudeuse, inclina la tête en signe d'obéissance et finit par sourire. Après la contredanse, le jeune homme eut les précautions, d'un amant, en mettant sur les épaules de la jeune fille un châle de cachemire, et la fit asseoir de manière à ce qu'elle fût à l'abri du vent. Puis bientôt mademoiselle de Fontaine les vit se lever et se promener autour de l'enceinte comme des gens disposés à partir ; elle trouva le moyen de les suivre sous prétexte d'admirer les points de vue du jardin, et son frère se prêta avec une malicieuse bonhomie aux caprices d'une marche assez vagabonde. Émilie put voir ce joli couple monter dans un élégant tilbury que gardait un domestique à cheval et en livrée. Au moment où le jeune homme fut assis et tâcha de rendre les guides égales, elle obtint d'abord de lui un de ces regards que l'on jette sans but sur les grandes foules, mais elle eut la faible
satisfaction de le voir retourner la tête à deux reprises différentes, et la jeune inconnue l'imita. Était-ce jalousie ?
— Je présume que tu as maintenant assez vu le jardin, lui dit son frère, nous pouvons retourner à la danse.
— Je le veux bien, dit-elle. Je suis sûre que c'est la vicomtesse Abergaveny... J'ai reconnu sa livrée.
Le lendemain, mademoiselle de Fontaine manifesta le désir de faire une promenade à cheval. Insensiblement elle accoutuma son vieil oncle et ses frères à l'accompagner dans certaines courses matinales, très salutaires, disait-elle, pour sa santé. Elle affectionnait singulièrement les maisons du village habité par la vicomtesse. Malgré ses manœuvres de cavalerie, elle ne rencontra pas l'inconnu aussi promptement que la joyeuse recherche à laquelle elle se livrait pouvait le lui faire espérer. Elle retourna plusieurs fois au bal de Sceaux, sans pouvoir y rencontrer le jeune homme qui était venu tout à coup dominer ses rêves et les embellir. Quoique rien n'aiguillonne plus le naissant amour d'une jeune fille qu'un obstacle, il y eut cependant un moment où mademoiselle Émilie de Fontaine fut sur le point d'abandonner son étrange et secrète poursuite, en désespérant presque du succès d'une entreprise dont la singularité peut donner une idée de la hardiesse de son caractère. Elle aurait pu en effet tourner longtemps autour du village de Châtenay sans revoir son inconnu. La jeune Clara, puisque tel est le nom que mademoiselle de Fontaine avait entendu, n'était ni vicomtesse, ni Anglaise, et l'étranger n'habitait pas plus qu'elle les bosquets fleuris et embaumés de Châtenay. Un soir, Émilie sortit à cheval avec son oncle, qui depuis les beaux jours avait obtenu de sa goutte une assez longue cessation d'hostilités, et rencontra la calèche de la vicomtesse Abergaveny. La véritable étrangère avait pour compagnon un gentlemen très prude et très élégant dont la fraîcheur et le coloris ; dignes d'une jeune fille, n'annonçaient pas plus la pureté du cœur qu'une brillante toilette n'est un indice de fortune. Hélas ! ces deux étrangers n'avaient rien dans leurs traits ni dans leur contenance qui pût ressembler aux deux séduisants portraits que l'amour et la jalousie avaient gravés dans la mémoire d’Émilie. Elle tourna bride sur-le-champ avec le dépit d'une femme frustrée dans son attente. Son oncle eut toutes les peines du monde à la suivre tant elle faisait galoper son petit cheval avec rapidité.
— Apparemment que je suis devenu trop vieux pour comprendre ces esprits de vingt ans, se dit le marin en mettant son cheval au galop, ou peut-être la jeunesse d'aujourd'hui ne ressemble-t-elle plus à celle d'autrefois... J'étais cependant un fin voilier et j'ai toujours bien su prendre le vent. Mais qu'a donc ma nièce ? La voilà maintenant qui marche à petits pas comme un gendarme en patrouille dans les rues de Paris. Ne dirait-on pas qu'elle veut cerner ce brave bourgeois qui m'a l'air d'être un auteur rêvassant à ses poésies, car il a, je crois, un album en main. Je suis par ma foi un grand sot! Ne serait-ce pas le jeune homme en quête duquel nous sommes.
A cette pensée le vieux marin fit marcher tout doucement son cheval sur le sable, de manière à pouvoir arriver sans bruit auprès de sa nièce. L'ancien voltigeur avait fait trop de noirceurs dans les années 1771 et suivantes, époque de nos annales où la galanterie était en honneur, pour ne pas deviner sur-le-champ qu’Émilie avait, par le plus grand hasard, rencontré l'inconnu du bal de Sceaux. Malgré le voile que l'âge répandait sur ses yeux gris, le comte de Kergarouët sut reconnaître les indices d'une agitation extraordinaire chez sa nièce, en dépit de l'immobilité qu'elle essayait d'imprimer à son visage. Les yeux perçants de la jeune demoiselle étaient fixés avec une sorte de stupeur sur l'étranger qui marchait paisiblement devant elle.
— C'est bien cela ! se dit le marin, elle va le suivre comme un vaisseau marchand suit un corsaire dont il a peur. Puis, quand elle l'aura vu s'éloigner, elle sera au désespoir de ne pas savoir qui elle aime, et d'ignorer si c'est un marquis ou un bourgeois. Vraiment les jeunes têtes devraient toujours avoir une vieille perruque comme moi avec elles...
Alors il poussa tout à coup son cheval à l'improviste, de manière à faire partir celui de sa nièce; passa si vite entre elle et le jeune promeneur, qu'il le força de se jeter sur le talus de verdure dont le chemin était encaissé. Arrêtant aussitôt son cheval, le comte, tout en colère, s'écria : — Ne pouvez-vous pas vous ranger ?
— Ah ! pardon, monsieur ! répondit l'inconnu. J'oubliais que c'était à moi de vous faire des excuses de ce que vous avez failli me renverser.
— Eh ! l'ami, reprit aigrement le marin en prenant un son de voix dont le ricanement avait quelque chose d'insultant, je suis un vieux loup de mer engravé
par ici, ne vous émancipez pas avec moi, morbleu, j'ai la main légère ! En.même temps le comte leva plaisamment sa cravache comme pour fouetter son cheval, et toucha l'épaule de son interlocuteur. — Ainsi, blanc-bec, ajouta-t-il, que l'on soit sage en bas de la cale.
Le jeune homme gravit le talus de la route en entendant ce sarcasme, il se croisa les bras et répondit d'un ton fort ému : — Monsieur, je ne puis croire en voyant vos cheveux blancs, que vous vous amusiez encore à chercher des duels.
— Cheveux blancs ! s'écria le marin en l'interrompant, tu en as menti par ta gorge, ils ne sont que gris. Bourgeois ! si j'ai fait la cour à vos grand-mères, je n'en suis que plus habile à la faire à vos femmes, si elles en valent la peine toutefois...
Une dispute aussi bien commencée devint en quelques secondes si chaude, que le jeune adversaire oublia le ton de modération qu'il s'était efforcé de conserver. Au moment où le comte de Kergarouët vit sa nièce arriver à eux avec toutes les marques d'une vive inquiétude, il donnait son nom à son antagoniste, en lui disant de garder le silence devant la jeune personne confiée à ses soins. L'inconnu ne put s'empêcher de sourire, et remit une carte au vieux marin, en lui faisant observer qu'il habitait une maison de campagne à Chevreuse ; après la lui avoir indiquée ; il s'éloigna rapidement.
— Vous avez manqué blesser ce pauvre pékin, ma nièce ! dit le comte en s’empressant d’aller au-devant d’Émilie. Vous ne savez donc plus tenir votre cheval en bride ? Vous me laissez-là compromettre ma dignité pour couvrir vos folies ; tandis que si vous étiez restée, un seul de vos regards ou une de vos paroles polies, une de celles que vous dites si joliment quand vous n'êtes pas impertinente, aurait tout raccommodé, lui eussiez-vous cassé le bras.
— Eh ! mon cher oncle ! c'est votre cheval, et non le mien, qui est cause de cet accident. Je crois en vérité que vous ne pouvez plus monter à cheval, vous n'êtes déjà plus si bon cavalier que vous l'étiez l'année dernière. Mais au lieu de dire des riens...
— Diable ! des riens ! Ce n'est donc rien que de faire une impertinence à votre oncle ?
— Ne devrions-nous pas aller savoir si ce jeune homme est blessé ? Il boite, mon oncle, voyez donc...
— Non, il court ! Ah ! je l'ai rudement morigéné.
— Ah! mon oncle, je vous reconnais là !
— Halte-là, ma nièce, dit le comte en arrêtant le cheval d’Émilie par la bride. Je ne vois pas la nécessité de faire des avances à quelque boutiquier trop heureux d'avoir été jeté à terre par une jeune fille ou par un vieux marin aussi noble que nous le sommes.
— Pourquoi croyez-vous que ce soit un roturier, mon cher oncle ? Il me semble qu'il a des manières fort distinguées.
— Tout le monde a des manières aujourd'hui, ma nièce.
— Non, mon oncle, tout le monde n'a pas l'air et la tournure que donne l'habitude des salons, et je parierais avec vous volontiers que ce jeune homme est noble.
— Vous n'avez pas trop eu le temps de l'examiner.
— Mais ce n'est pas la première fois que je le vois.
— Et ce n'est pas non plus la première fois que vous le cherchez, lui répliqua le comte en riant.
Émilie rougit, et son oncle se plut à la laisser quelque temps dans l'embarras, puis il lui dit : — Émilie, vous savez que je vous aime comme mon enfant, précisément parce que vous êtes la seule de la famille qui ayez cet orgueil légitime que donne une haute naissance. Corbleu ! ma petite nièce, qui aurait cru que les bons principes deviendraient si rares ! Eh bien, je veux être votre confident. Ma chère petite, je vois que ce jeune gentilhomme ne vous est pas indifférent. Chut !... Ils se moqueraient de nous dans la famille, si nous nous embarquions sous un faux pavillon. Vous savez ce que cela veut dire. Ainsi, laissez-moi vous aider, ma nièce. Gardons-nous tous deux le secret, et je vous promets d'amener ce brick-là sous votre feu croisé, au milieu de notre salon.
— Et quand, mon oncle ?
— Demain.
— Mais, mon cher oncle, je ne serai obligée à rien ?
— A rien du tout, et vous pourrez le bombarder, l'incendier, et le laisser là comme une vieille caraque si cela vous plaît ! Ce ne sera pas le premier, n'est-ce pas ?
— Êtes-vous bon ! mon oncle.
Aussitôt que le comte fut rentré, il mit ses besicles, tira secrètement la carte de sa poche, et lut : M. MAXIMILIEN LONGUEVILLE , RUÉ DU SENTIER.
— Soyez tranquille, ma chère nièce, dit-il à Emilie, vous pouvez le harponner en toute sécurité de conscience, il appartient à une de nos familles historiques, et s'il n'est pas pair de France, il le sera infailliblement.
— D'où savez-vous cela ?
— C'est mon secret.
— Vous connaissez donc son nom ?
Le comte inclina en silence sa tête grise, qui ressemblait assez à un vieux tronc de chêne autour duquel auraient voltigé quelques feuilles roulées par le froid de l'automne. A ce signe, sa nièce vint essayer sur lui le pouvoir toujours neuf de ses coquetteries. Instruite dans l'art de cajoler le vieux marin, elle lui prodigua les caresses les plus enfantines, les paroles les plus tendres ; elle alla même jusqu'à l'embrasser, afin d'obtenir de lui la révélation d'un secret aussi important. Le vieillard, qui passait sa vie à faire jouer à sa nièce de ces sortes de scènes, et qui les payait souvent par le prix d'une parure, où par l'abandon de sa loge aux Italiens, se complut cette fois à se laisser prier et surtout caresser. Mais, comme il faisait durer ses plaisirs trop longtemps, Emilie se fâcha, passa des caresses aux sarcasmes, et bouda. Elle revint dominée par la curiosité. Le marin diplomate obtint solennellement de sa nièce une promesse d'être à l'avenir plus réservée, plus douce, moins volontaire, de dépenser moins d'argent, et surtout de lui tout dire. Le traité conclu et signé par un baiser qu'il déposa sur le front blanc de sa nièce, il l'amena dans un coin du salon, l'assit sur ses genoux, plaça la carte sous ses deux
pouces et ses doigts, de manière à la cacher, découvrit lettre à lettre le nom de Longueville, et refusa fort obstinément d'en laisser voir davantage.
Cet événement rendit le sentiment secret de mademoiselle de Fontaine plus intense. Elle déroula pendant une grande partie de la nuit les tableaux les plus brillants des rêves dont elle avait nourri ses espérances. Enfin, grâces à ce hasard imploré si souvent, elle avait maintenant tout autre chose qu'un être de raison pour créer une source aux richesses imaginaires dont elle se plaisait à doter sa vie future. Ignorant, comme toutes les jeunes personnes, les dangers de l'amour et du mariage, elle se passionna pour les dehors trompeurs du mariage et de l'amour. N'est-ce pas dire que son sentiment naquit comme naissent presque tous ces caprices du premier âge, douces et cruelles erreurs qui exercent une si fatale influence sur l'existence des jeunes filles assez inexpérimentées pour ne s'en remettre qu'à elles-mêmes du soin de leur bonheur à venir.
Le lendemain matin, avant qu’Émilie fût réveillée, son oncle avait couru à Chevreuse.
En reconnaissant, dans la cour d'un élégant pavillon, le jeune homme qu'il avait si résolument insulté la veille, il alla vers lui avec cette affectueuse politesse des vieillards de l'ancienne cour.
— Eh ! mon cher monsieur, qui aurait dit que je me ferais une affaire, à l'âge de soixante-treize ans, avec le fils pu le petit-fils d'un de mes meilleurs amis ? Je suis contre-amiral, monsieur, c'est vous dire que je m'embarrasse aussi peu d'un duel que de fumer un cigare de la Havane. Dans mon temps, deux jeunes gens ne pouvaient devenir intimes qu'après avoir vu la couleur de leur sang. Mais, ventre dieu, hier, j'avais, en ma qualité de marin , embarqué un peu trop de rhum à bord, et j'ai sombré sur vous. Touchez là ! J'aimerais mieux recevoir cent coups de cravache d'un Longueville que de causer la moindre peine à sa famille.
Quelque froideur que le jeune homme s'efforçât de marquer au comte de Kergarouët, il ne put longtemps tenir à la franche bonté de ses manières, et se laissa serrer la main.
Vous alliez monter à cheval, dit le comte, ne vous gênez pas. Mais venez avec moi, à moins que vous n'ayez des projets, je vous invite à dîner aujourd'hui au
pavillon de Bonneval. Mon neveu, le comte de Fontaine, y sera, et c'est un homme essentiel à connaître! Ah! je prétends, morbleu! vous dédommager de ma brusquerie en vous présentant à cinq des plus jolies femmes de Paris. Hé ! hé ! jeune homme; votre front se déride ! J'aime les jeunes gens ! j'aime à les voir heureux. Leur bonheur me rappelle les bienfaisantes années de 1771, 1772 et autres, où les aventures ne manquaient pas plus que les duels ! On était gai, alors ! Aujourd'hui, vous raisonnez, et l'on s'inquiète de tout, comme s'il n'y avait eu ni XVe ni XVIe siècle.
— Mais, monsieur, nous avons, je crois, raison, car le XVIe siècle n'a donné que la liberté religieuse à l'Europe, et le XIXe...
— Ah ! ne parlons pas politique. Je suis une vieille ganache d'ultra, voyez-vous. Mais je n'empêche pas les jeunes gens d'être révolutionnaires, pourvu qu'ils me laissent la liberté de serrer ma petite queue dans son ruban noir.
A quelques pas de là, lorsque le comte et son jeune compagnon furent au milieu des bois, le marin, avisant un jeune bouleau assez mince, arrêta son cheval, prit un de ses pistolets dont il logea la balle au milieu de l'arbre, à quinze pas de distance.
— Vous voyez, mon brave, que je ne crains pas un duel ! dit-il avec une gravité comique, en regardant M. Longueville.
— Ni moi non plus, reprit ce dernier, qui arma promptement son pistolet, visa le trou fait par la balle du comte, et ne plaça pas la sienne loin de ce but.
— Voilà ce qui s'appelle un jeune homme bien élevé, s'écria le marin avec une sorte d'enthousiasme.
Pendant la promenade qu'il fit avec celui qu'il regardait déjà comme son neveu, il trouva mille occasions de l'interroger sur toutes les bagatelles dont la parfaite connaissance constituait, selon son code particulier, un gentilhomme accompli.
— Avez-vous des dettes ? demanda-t-il enfin à son compagnon après bien des questions.
— Non, Monsieur.
— Comment ! vous payez tout ce qui vous est fourni ?
— Exactement, monsieur, autrement nous perdrions tout crédit et toute espèce de considération.
— Mais au moins vous avez plus d'une maîtresse ? Ah vous rougissez ! Ventre-dieu, mon camarade, les mœurs ont bien changé ! Avec ces idées d'ordre légal, de kantisme et de liberté, la jeunesse s'est gâtée. Vous n'avez ni Guimard, ni Duthé, ni créanciers, et vous ne savez pas le blason : mais, mon jeune ami, vous n'êtes pas élevé ! Sachez que celui qui ne fait pas ses folies au printemps les fait en hiver. Mais ventre-dieu ! si j'ai eu quatre-vingt mille livres de rente à soixante-dix ans, c'est que j'en avais mangé le double à trente ans. Néanmoins vos imperfections ne m'empêcheront pas de vous annoncer au pavillon Bonneval. Songez que vous m'avez promis d'y venir, et je vous y attends...
— Quel singulier petit vieillard ! se dit le jeune Longueville; il est vert comme un pré ; mais tout bon homme qu'il peut paraître, je ne m'y fierai pas. J'irai au pavillon Bonneval, parce qu'il y a de jolies femmes, dit-on; mais y rester à dîner, il faudrait être fou !
Le lendemain, sur les quatre heures, au moment où toute la compagnie était éparse dans les salons ou au billard, un domestique annonça aux habitants du pavillon de Bonneval : M. de Longueville. Au nom du personnage dont le vieux comte de Kergarouët avait entretenu la famille, tout le monde, jusqu'au joueur qui allait faire une bille, accourut, autant pour observer la contenance de mademoiselle de Fontaine, que pour juger le phénix humain qui avait mérité une mention honorable au détriment de tant de rivaux. Une mise aussi élégante que simple, des manières pleines d'aisance, des formes polies, une voix douce et d'un timbre qui faisait vibrer les cordes du cœur, concilièrent à M. Longueville la bienveillance de toute la famille. Il ne sembla pas étranger au luxe oriental de la demeure du fastueux receveur général. Quoique sa conversation fût celle d'un homme du monde, chacun put facilement deviner qu'il avait reçu la plus brillante éducation et que ses connaissances étaient aussi solides qu'étendues. Il trouva si bien le mot propre dans une discussion assez légère suscitée par le vieux marin, sur les constructions navales, qu'une dame lui fit observer qu'il semblait être sorti de l’École Polytechnique.
— Je crois, madame, répondit-il, qu'on peut regarder comme un titre de gloire d'en avoir été l'élève.
Malgré toutes les instances qui lui furent faites, il se refusa avec politesse, mais avec fermeté, au désir qu'on lui témoigna de le garder à dîner, et arrêta les observations des dames en disant qu'il était l'Hippocrate d'une jeune sœur dont la santé très délicate exigeait beaucoup de soins.
— Monsieur est sans doute médecin ? demanda avec ironie une des belles-sœurs d’Émilie.
— Monsieur est sorti de l’École Polytechnique, répondit avec bonté mademoiselle de Fontaine, dont la figure s'anima des teintes les plus riches, au moment où elle apprit que la jeune fille du bal était la sœur de M. Longueville.
— Mais, ma chère, on peut être médecin et être allé à l’École Polytechnique, n'est-ce pas, monsieur ?
— Madame, répondit le jeune homme, rien ne s'y oppose.
Tous les yeux se portèrent sur Émilie, qui regardait alors avec une sorte de curiosité inquiète le séduisant inconnu. Elle respira plus librement quand elle l'entendit ajouter en souriant : — Je n'ai pas l'honneur d'être médecin, madame, et j'ai même renoncé à entrer dans le service des ponts-et-chaussées afin de conserver mon indépendance.
— Et vous avez bien fait, dit le comte. Mais comment pouvez-vous regarder comme un honneur d'être médecin ? ajouta le noble Breton. Ah ! mon jeune ami, pour un homme comme vous !
— Monsieur le comte, je respecte infiniment toutes les professions qui ont un but d'utilité. — Eh ! nous sommes d'accord ! Vous respectez ces professions-là, j'imagine, comme un jeune homme respecte une douairière.
La visite de M. Longueville ne fut ni trop longue, ni trop courte. Il se retira au moment où il s'aperçut qu'il avait plu à tout le monde, et que la curiosité de chacun s'était éveillée sur son compte.
— C'est un rusé compère ! dit le comte en rentrant au salon, après l'avoir reconduit.
Mademoiselle de Fontaine, qui seule était dans le secret de cette visite, avait fait une toilette assez recherchée pour attirer les regards du jeune homme ; mais elle eut le petit chagrin de voir qu'il ne fit pas à elle autant d'attention qu'elle croyait en mériter. La famille fut assez surprise du silence dans lequel elle se renferma. En effet, Émilie était habituée à déployer pour les nouveaux venus tous les trésors de sa coquetterie, toutes les ruses de son babil spirituel, et l'inépuisable éloquence de ses regards et de ses attitudes. Soit que la voix mélodieuse du jeune homme et l'attrait de ses manières l'eussent charmée, ou qu'elle aimât sérieusement, et que ce sentiment eût opéré en elle un changement, son maintien perdit en cette occasion toute affectation. Devenue simple et naturelle, elle dut sans doute paraître plus belle. Quelques-unes de ses sœurs et une vieille dame, amie de la famille, pensèrent que c'était un raffinement de coquetterie. Elles supposèrent que, jugeant le jeune homme digne d'elle, Émilie se proposait peut-être de ne montrer que lentement ses avantages, afin de l'éblouir tout à coup, au moment où elle lui aurait plu.
Toutes les personnes de la famille étaient curieuses de savoir ce que cette capricieuse fille pensait du jeune homme. Mais lorsque, pendant le dîner, chacun prit plaisir à doter M. Longueville d'une qualité nouvelle, en prétendant l'avoir seul découverte, mademoiselle de Fontaine resta muette pendant quelque temps. Mais tout à coup un léger sarcasme de son oncle la réveilla de son apathie. Elle dit d'une manière assez épigrammatique que cette perfection céleste devait couvrir quelque grand défaut, et qu'elle se garderait bien de juger à la première vue un homme qui paraissait être aussi habile. Elle ajouta que ceux qui plaisaient ainsi à tout le monde ne plaisaient à personne, et que le pire de tous les défauts était de n'en avoir aucun. Comme toutes les jeunes filles qui aiment, elle caressait l'espérance de pouvoir cacher son sentiment au fond de son cœur en donnant le change aux Argus dont elle était entourée ; mais, au bout d'une quinzaine de jours, il n'y eut pas un des membres de cette nombreuse famille qui ne fût initié dans ce petit secret domestique.
A la troisième visite que fit M. Longueville, Émilie crut en avoir été le sujet. Cette découverte lui causa un plaisir si enivrant qu'elle l'étonna quand elle put réfléchir. Il y avait là quelque chose de pénible pour son orgueil. Habituée à se faire le centre du monde, elle était obligée de reconnaître une force qui l'attirait
hors d'elle-même. Elle essaya de se révolter, mais elle ne put chasser de son cœur l'élégante image du jeune homme. Puis vinrent bientôt des inquiétudes. En effet, deux qualités de M. Longueville, très contraires à la curiosité générale, et surtout à celle de mademoiselle de Fontaine, étaient une discrétion et une modestie incroyables. Il ne parlait jamais ni de lui, ni de ses occupations, ni de sa famille. Les finesses dont Emilie semait sa conversation et les pièges qu'elle y tendait pour se faire donner par ce jeune homme des détails sur lui-même étaient tous inutiles. Son amour-propre la rendait avide de révélations. Parlait-elle peinture ? M. Longueville répondait en connaisseur. Faisait-elle de la musique ? Le jeune homme prouvait sans fatuité qu'il était assez fort sur le piano. Un soir, il avait enchanté toute la compagnie, lorsque sa voix délicieuse s'unit à celle d’Émilie dans un des plus beaux duos de Cimarosa. Mais, quand on essaya de s'informer s'il était artiste, il plaisanta avec tant de grâce, qu'il ne laissa pas aux femmes, et même aux plus exercées dans l'art de deviner les sentiments, la possibilité de décider ce qu'il était réellement. Avec quelque courage que le vieil oncle jetât le grappin sur ce bâtiment, Longueville s'esquivait avec tant de souplesse, qu'il sut conserver tout le charme du mystère. Il lui fut d'autant plus facile de rester le bel inconnu au pavillon Bonneval, que la curiosité n'y excédait pas les bornes de la politesse. Émilie, tourmentée de cette réserve, espéra tirer meilleur parti de la sœur que du frère pour ces sortes de confidences. Secondée par son oncle, qui s'entendait aussi bien à cette manœuvre qu'à celle d'un bâtiment, elle essaya de mettre en scène le personnage jusqu'alors muet de mademoiselle Clara Longueville. La société du pavillon Bonneval manifesta bientôt le plus grand désir de connaître une aussi aimable, personne, et de lui procurer quelque distraction. Un bal sans cérémonie fut proposé et accepté. Les dames ne désespérèrent pas complètement de faire parler une jeune fille de seize ans.
Malgré ces petits nuages amoncelés par ces mystères et créés par la curiosité, un jour éclatant éclairait la vie de mademoiselle de Fontaine qui jouissait délicieusement de l'existence en la rapportant à un autre qu'à elle. Elle commençait à concevoir les rapports sociaux. Soit que le bonheur nous rende meilleurs, soit qu'elle fût trop occupée pour tourmenter les autres, elle devint moins, caustique, plus indulgente, plus douce ; et le changement de son caractère enchanta sa famille étonnée. Peut-être, après tout, son amour allait-il être plus tard un égoïsme à deux. Attendre l'arrivée de son timide et secret adorateur, était
une joie céleste. Sans qu'un Seul mot d'amour eût été prononcé entre eux, elle savait qu'elle était aimée, et avec quel art ne se plaisait-elle pas à faire déployer au jeune inconnu tous les trésors de son instruction ! Elle s'aperçut qu'elle en était observée avec soin, et alors elle essaya de vaincre tous les défauts que son éducation avait laissés croître en elle. C'était déjà un premier hommage rendu à l'amour, et un reproche cruel qu'elle s'adressait à elle-même. Elle voulait plaire, elle enchanta ; elle aimait, elle fut idolâtrée. Sa famille sachant qu'elle était gardée par son orgueil, lui donnait assez de liberté pour qu'elle pût savourer toutes ces petites félicités enfantines qui donnent tant de charme et de violence aux premières amours. Plus d'une fois le jeune homme et mademoiselle de Fontaine se mirent à errer dans les allées d'un parc assez vaste où la nature était parée comme une femme qui va au bal. Plus d'une fois, ils eurent de ces entretiens sans but et sans physionomie dont les phrases les plus vides de sens sont celles qui cachent le plus de sentiments. Ils admirèrent souvent ensemble le soleil couchant et ses riches couleurs ; cueillirent des marguerites, pour les effeuiller; et chantèrent les duos les plus passionnés, en se servant des notes rassemblées par Pergolèse ou par Rossini, comme de truchements fidèles pour exprimer leurs secrets. Le jour du bal arriva. Clara Longueville et son frère, que les valets s'obstinaient à décorer de la noble particule, en furent les héros ; et, pour la première fois de sa vie, mademoiselle de Fontaine vit le triomphe d'une jeune fille avec plaisir. Elle prodigua sincèrement à Clara ces caresses gracieuses et ces petits soins que les femmes ne se rendent ordinairement entre elles que pour exciter la jalousie des hommes. Mais Émilie avait un but, elle voulait surprendre des secrets. Mademoiselle Longueville montra plus de réserve encore que n'en avait montré son frère. Elle déploya même en sa qualité de fille, plus de finesse et d’esprit ; elle n'eut pas même l'air d'être discrète ; mais elle eut soin de tenir la conversation sur des sujets étrangers à tout intérêt individuel, et sut l'empreindre d'un si grand charme, que mademoiselle de Fontaine en conçut une sorte d'envie, et surnomma Clara la sirène. Émilie avait formé le dessein de faire causer Clara, ce fut Clara qui interrogea Émilie. Elle voulait la juger, elle en fut jugée. Elle se dépita souvent d'avoir laissé percer son caractère dans quelques réponses que lui arracha malicieusement Clara, dont l'air modeste et candide éloignait tout soupçon de perfidie. Il y eut un moment où mademoiselle de Fontaine parut fâchée d'avoir fait contre les roturiers une imprudente sortie provoquée par Clara.
— Mademoiselle, lui dit cette charmante créature, j'ai tant entendu parler de vous par Maximilien, que j'avais le plus vif désir de vous connaître par attachement pour lui ; mais vouloir vous connaître, c'est vouloir vous aimer.
- Ma chère Clara, j'avais peur de vous déplaire en parlant ainsi de ceux qui ne sont pas nobles.
— Oh ! rassurez-vous. Aujourd'hui, ces sortes de discussions sont sans objet, et, quant à moi, elles ne m'atteignent pas. Je suis en dehors de la question.
Quelque ambitieuse que fût cette réponse, mademoiselle de Fontaine en ressentit une joie profonde. Semblable à tous les gens passionnés, elle l'expliqua comme s'expliquent les oracles, dans le sens qui s'accordait avec ses désirs. Alors elle s'élança à la danse, plus joyeuse que jamais, et, en regardant M. Longueville, dont les formes et l'élégance surpassaient peut-être celles de son type imaginaire, elle ressentit une satisfaction de plus en songeant qu'il était noble. Ses yeux noirs scintillèrent, et elle dansa avec tout le plaisir qu'on trouve à ce mystérieux dédale de pas et de mouvements en présence de celui qu'on aime. Jamais les deux amants ne s'entendirent mieux qu'en ce moment ; et plus d'une fois ils sentirent, le bout de leurs doigts frémir et trembler, lorsque les lois de la contredanse leur imposèrent la douce tâche de les effleurer.
Ils atteignirent le commencement de l'automne, au milieu des fêtes et des plaisirs de la campagne, en se laissant doucement abandonner au courant du sentiment le plus doux de la vie, en le fortifiant par mille petits accidents que chacun peut imaginer, car les amours se ressemblent toujours en quelques points. L'un et, l'autre s’étudiait autant que l'on peut s'étudier quand on aime.
— Enfin, disait le vieil oncle qui suivait les deux jeunes gens de l’œil, comme un naturaliste examine un insecte au microscope, jamais amourette n'a si vite tourné en mariage d'inclination.
Ce mot effraya M. et madame de Fontaine. Le vieux Vendéen cessa d'être aussi indifférent au mariage de sa fille qu'il avait naguère promis de l'être. Il alla chercher à Paris des renseignements qu'il n'y trouva pas. Inquiet de ce mystère, et ne sachant pas encore quel serait le résultat de l'enquête qu'il avait prié un administrateur parisien de lui faire sur la famille Longueville, il crut devoir avertir
sa fille de se conduire prudemment. L'observation paternelle fut reçue avec une feinte obéissance pleine d'ironie.
— Au moins, ma chère Émilie, si vous l'aimez, ne le lui avouez pas !
— Mon père, il est vrai que je l'aime, mais j'attendrai pour le lui dire que vous me le permettiez.
— Cependant, Émilie, songez que vous ignorez encore quelle est sa famille, son état.
— Si je l'ignore, c'est que je le veux bien. Mais, mon père, vous avez souhaité me voir mariée, vous m'avez donné la liberté de faire un choix ; le mien est fait irrévocablement. Que faut-il de plus ?
— Il faut savoir, ma chère enfant, si celui que tu as choisi est fils d'un pair de France, répondit ironiquement le vénérable gentilhomme.
Émilie resta un moment silencieux ; puis, elle releva bientôt la tête, regarda son père, et lui dit avec une sorte d'inquiétude : — Est-ce que les Longueville....
— Sont éteints en la personne du vieux duc qui a péri sur l'échafaud en 1793. Il était le dernier rejeton de la dernière branche cadette.
— Mais, mon père, il y a de fort bonnes maisons issues de bâtards. L'histoire de France fourmille de princes qui mettaient des barres à leurs écus.
— Tes idées ont bien changé ! dit le vieux gentilhomme en souriant.
Le lendemain était le dernier jour que la famille Fontaine dût passer au pavillon Bonneval. Émilie, que l'avis de son père avait fortement inquiétée, attendit avec une vive impatience l'heure à laquelle M. Longueville avait l'habitude de venir, afin d'obtenir de lui une explication. Elle sortit après le dîner et alla errer dans le parc ; elle savait que l'empressé jeune homme viendrait la surprendre au sein du bosquet sombre où ils causaient souvent. Aussi fut-ce de ce côté qu'elle se dirigea en songeant à la manière dont elle s'y prendrait pour réussir à surprendre, sans se compromettre, un secret si important. C'était chose difficile ; car, jusqu'à présent, aucun aveu direct n'avait sanctionné le sentiment qui l'unissait à M. Longueville. Elle avait secrètement joui, comme lui, de la douceur d'un premier amour ; mais aussi fiers l'un que l’autre, il semblait que chacun d'eux
craignît de s'avouer qu'il aimât. Maximilien Longueville, à qui Clara avait inspiré des soupçons qui n'étaient pas sans fondement sur le caractère d’Émilie, se trouvait à chaque instant emporté par la violence d'une passion de jeune homme, et retenu par le désir de connaître et d'éprouver la femme à laquelle il devait confier tout son avenir et le bonheur de sa vie. Il ne voulait essayer de combattre les préjugés qui gâtaient le caractère d’Émilie, préjugés que son amour ne l'avait pas empêché de reconnaître en elle, qu'après s'être assuré qu'il en était aimé, car il ne voulait pas plus hasarder le sort de son amour que celui de sa vie. Il s'était donc constamment tenu dans un silence que ses regards, son attitude et ses moindres actions démentaient. De l'autre côté, la fierté naturelle à une jeune fille, encore augmentée chez mademoiselle de Fontaine par la sotte vanité que lui donnaient sa naissance et sa beauté, l'empêchaient d'aller au-devant d'une déclaration qu'une passion croissante lui persuadait quelquefois de solliciter. Aussi les deux amants avaient-ils instinctivement compris leur situation sans s'expliquer leurs secrets motifs. Il est des moments de la vie où le vague plaît à de jeunes âmes ; et par cela même que l'un et l'autre avaient trop tardé de parler, ils semblaient tous deux se faire un jeu cruel de leur attente. L'un cherchait à découvrir s'il était aimé par l'effort que coûterait un aveu à son orgueilleuse maîtresse ; l'autre espérait voir rompre à tout moment un trop respectueux silence.
Mademoiselle de Fontaine s'était assise sur un banc rustique, et songeait à tous les événements qui venaient de se passer. Chaque jour de ces trois mois lui semblait être le brillant pétale d'une fleur radieuse et embaumée. Les soupçons de son père étaient les dernières craintes dont son âme pouvait être atteinte. Elle en fit même justice par deux ou trois de ces réflexions de jeune fille inexpérimentée qui lui semblèrent victorieuses. Avant tout, elle convint avec elle-même qu'il était impossible qu'elle se trompât. Pendant toute une saison, elle n'avait pu apercevoir en M. Maximilien, ni un seul geste, ni une seule parole qui indiquassent une origine ou des occupations communes ; il avait dans la discussion une habitude qui décelait un homme occupé des hauts intérêts du pays. — D'ailleurs, se dit-elle, un homme de bureau, un financier où un commerçant n'aurait pas eu le loisir de rester une saison entière à me faire la cour au milieu des champs et des bois, en dispensant son temps aussi libéralement qu'un noble qui a devant lui toute une vie libre de soins. Elle était plongée dans une méditation beaucoup plus intéressante pour elle que ne l'étaient ces pensées préliminaires, quand un léger bruissement du
feuillage lui annonça que depuis un moment elle était sans doute contemplée avec la plus profonde admiration.
— Savez-vous que cela est fort mal, lui dit-elle en souriant, de surprendre ainsi les jeunes filles!
— Surtout, répondit-il, lorsqu'elles sont occupées de leurs secrets.
— Pourquoi n'aurais-je pas les miens, puisque vous avez les vôtres ?
— Vous pensiez donc réellement à vos secrets ? reprit-il en riant.
— Non, je songeais aux vôtres. Les miens ? je les connais.
— Mais, s'écria doucement le jeune homme en saisissant le bras de mademoiselle de Fontaine et le mettant sous le sien, peut-être mes secrets sont-ils les vôtres, et vos secrets les miens.
Ils avaient fait quelques pas et se trouvaient sous un massif d'arbres que les couleurs du couchant enveloppaient comme d'un nuage rouge et brun. Cette magie naturelle imprima une sorte de solennité à ce moment. L'action vive et libre du jeune homme, et surtout l'agitation de son cœur bouillant dont le bras d’Émilie sentait les pulsations précipitées, l'avaient jetée dans une exaltation d'autant plus pénétrante qu'elle n'était excitée que par les accidents les plus simples et les plus innocents. La réserve dans laquelle vivent les jeunes filles du grand monde donne une force incroyable aux explosions de leurs sentiments, et c'est un des plus grands dangers qui puisse les atteindre quand elles rencontrent un amant passionné. Jamais les yeux d’Émilie et de Maximilien n'avaient tant parlé. En proie à cette ivresse, ils oublièrent aisément les petites stipulations de l'orgueil, de la défiance, et les froides considérations de leur raison. Ils ne purent même s'exprimer d'abord que par un serrement de main qui servit d'interprète à leurs joyeuses pensées.
— Monsieur, dit en tremblant et d'une voix émue mademoiselle de Fontaine après un long silence et après avoir fait quelques pas avec une certaine lenteur, j'ai une question à vous faire. Mais, songez, de grâce, qu'elle m'est en quelque sorte commandée par la situation assez étrange où je me trouve vis-à-vis de ma famille.
Une pause effrayante pour Émilie succéda à ces phrases qu'elle avait presque bégayées. Pendant le moment que dura le silence, cette jeune fille si fière n'osa
soutenir le regard éclatant de celui qu'elle aimait, car elle avait un secret sentiment de la bassesse des mots suivants qu'elle ajouta : — Êtes-vous noble ?
Quand ces dernières paroles furent prononcées, elle aurait voulu être au fond d'un lac. — Mademoiselle, reprit gravement M. Longueville dont la figure altérée contracta une sorte de dignité sévère, je vous promets de répondre sans détour à cette demande quand vous aurez répondu avec sincérité à celle que je vais vous faire. Il quitta le bras de là jeune fille, qui, tout à coup, se crut seule dans la vie, et il lui dit :
— Dans quelle intention me questionnez-vous sur ma naissance ? Elle demeura immobile, froide et muette. — Mademoiselle, reprit Maximilien, n'allons pas plus loin, si nous ne nous comprenons pas. — Je vous aime, ajouta-t-il d'un son de voix profond et attendri. Eh bien, reprit-il d'un air joyeux après avoir entendu l'exclamation de bonheur que ne put retenir la jeune fille, pourquoi me demander si je suis noble ?
— Parlerait-il ainsi s'il ne l'était pas ? s'écria une voix intérieure qu’Émilie crut sortie du fond de son cœur. Elle releva gracieusement la tête, sembla puiser une nouvelle vie dans le regard du jeune homme, et lui tendit le bras comme pour faire une nouvelle alliance.
— Vous avez cru que je tenais beaucoup à des dignités ? demanda-t-elle avec une finesse malicieuse.
— Je n'ai pas de titres à offrir à ma femme, répondit-il d'un air moitié gai, moitié sérieux. Mais si je la prends dans un haut rang et parmi celles que leur fortune à habituées au luxe et aux plaisirs de l'opulence, je sais à quoi un tel choix m'oblige. L'amour donne tout, ajouta-t-il avec gaîté, mais aux amans seulement. Quant aux époux, il leur faut un peu plus que le dôme du ciel, des fruits et le tapis des prairies.
— Il est riche, se dit-elle. Quant aux titres, il veut peut-être m'éprouver ! On lui aura dit que j'étais entichée de noblesse, et que je n'avais voulu épouser qu'un pair de France. Ce sont mes bégueules de sœurs qui m'auront joué ce jour-là. — Je vous assure, monsieur, que j'ai eu des idées bien exagérées sur la vie et le monde ;
mais aujourd'hui, dit-elle en le regardant d'une manière à le rendre fou, je sais où sont nos véritables richesses.
— J'ai besoin de croire que vous parlez à cœur ouvert, répondit-il avec une sorte de gravité douce. Mais cet hiver, ma chère Émilie, dans moins de deux mois peut-être, je serai fier de ce que je pourrai vous offrir, si vous tenez aux jouissances de la fortune. Ce sera le seul secret que je garderai là (il montra son cœur), car de sa réussite dépend mon bonheur, je n'ose dire le nôtre...
— Oh ! dites, dites !
Ce fut au milieu des plus doux propos qu'ils revinrent à pas lents rejoindre la compagnie au salon. Jamais mademoiselle de Fontaine ne trouva son amant plus aimable, ni plus spirituel. Ses formes sveltes, ses manières engageantes lui semblèrent plus charmantes encore depuis une conversation qui venait en quelque sorte de lui confirmer la possession d'un cœur digne d'être envié par toutes les femmes. Ils chantèrent un duo italien avec une expression si ravissante, que l'assemblée les applaudit avec une sorte d'enthousiasme. Leur adieu eut un accent de convention qui cachait le sentiment le plus délicieux. Enfin cette journée devint pour la jeune fille comme une chaîne qui la lia pour toujours à la destinée de l'inconnu. La force et la dignité qu'il avait déployées dans la scène secrète pendant laquelle ils s'étaient révélé leurs sentiments, avaient peut-être aussi imposé à mademoiselle de Fontaine ce respect sans lequel il n'existe pas de véritable amour. Lorsque, restée seule avec son père dans le salon, le vénérable Vendéen s'avança vers elle, lui prit affectueusement les mains, et lui demanda si elle avait acquis quelque lumière sur la fortune, l'état et la famille de M. de Longueville, elle répondit : — Oui, mon cher et bien-aimé père, je suis plus heureuse que je ne pouvais le désirer, et M. de Longueville est le seul homme que je veuille épouser.
— C'est bien, Émilie, reprit le comte, je sais ce qui me reste à faire.
— Connaîtriez-vous quelque obstacle, demanda-t-elle avec une véritable anxiété.
— Ma chère enfant, ce jeune homme est absolument inconnu ; mais, à moins que ce ne soit un malhonnête homme, du moment où tu l'aimes, il m'est aussi cher qu'un fils.
— Un malhonnête homme ? reprit Émilie, je suis bien tranquille ! mon oncle peut vous répondre de lui, car c'est lui qui nous l'a présenté. Dites, cher oncle, a-t-il été flibustier, forban, corsaire ?
— Bon ! je savais bien que j'allais me trouver là, s'écria le vieux marin en se réveillant.
Il regarda dans le salon ; mais sa nièce avait disparu comme un feu Saint-Elme, pour se servir de son expression habituelle.
— Eh bien ! mon oncle, reprit M. de Fontaine, comment avez-vous pu nous cacher tout ce que vous saviez sur ce jeune homme ? Vous avez cependant dû vous apercevoir de nos inquiétudes. Est-il de bonne famille ?
— Je ne le connais ni d'Eve ni d'Adam ! s'écria le comte de Kergarouët. Me fiant au tact de cette petite folle, je lui ai amené son Adonis par un moyen à moi connu. Je sais qu'il tire le pistolet admirablement, chasse très bien, joue merveilleusement au billard, aux échecs, au trictrac, et qu'il fait des armes et monte à cheval comme feu le chevalier de Saint-Georges. Il a une érudition corsée relativement à nos vignobles. Il calcule comme Barème, dessine, danse et chante bien. Que diable avez-vous donc, vous autres ? Si ce n'est pas là un gentilhomme parfait, montrez-moi un bourgeois qui sache tout cela. Trouvez-moi un homme qui vive aussi noblement que lui ? Fait-il quelque chose ? Compromet-il sa dignité à aller dans des bureaux, à se courber devant de petits, gentillâtres que vous appelez des directeurs généraux ? Il marche droit. C'est un homme. Mais, au surplus, je viens de retrouver dans la poche de mon gilet la carte qu'il m'a donnée quand il croyait que je voulais lui couper la gorge ; pauvre innocent ! La jeunesse d'aujourd'hui n'est guère rusée ! Tenez, voici.
— Rue du Sentier, n° 5, dit M. de Fontaine en cherchant à se rappeler, parmi tous les renseignements qu'on lui avait donnés, celui qui pouvait concerner le jeune inconnu. Que diable cela signifie-t-il ? MM. Georges Brummer, Schilken et compagnie, banquiers dont le principal commerce est celui des mousselines,
calicots, toiles peintes, que sais-je ! demeurent là. Bon, j'y suis. Longueville, le député, a un intérêt dans leur maison. Oui, mais je ne connais à Longueville qu'un fils de trente-deux ans, qui ne ressemble pas du tout au nôtre, et auquel il donne cinquante mille livres de rente en mariage, afin de lui faire épouser la fille d'un ministre, il a envie d'être pair tout comme un autre. Jamais je ne lui ai entendu parler de ce Maximilien. A-t-il une fille ? Qu'est-ce que cette Clara. Au surplus, permis à plus d'un intrigant de s'appeler Longueville. Mais la maison Brummer, Schilken et compagnie, n'est-elle pas à moitié ruinée par une spéculation au Mexique ou aux Indes. J'éclaircirai tout cela.
— Tu parles tout seul comme si tu étais sur
un théâtre, et tu parais me compter pour zéro, dit tout-à-coup le vieux marin. Tu ne sais donc pas que s'il est gentilhomme, j'ai plus d'un sac dans mes écoutilles pour parer à son défaut de fortune ?
— Quant à cela ! s'il est fils de Longueville, il n'a besoin de rien, dit M. de Fontaine en agitant la tête de droite à gauche, son père n'a même pas acheté de savonnette à vilain. Avant la révolution il était procureur. Le de qu'il a pris depuis la restauration lui appartient tout autant que la moitié de sa fortune.
— Bah ! bah, s'écria gaîment le marin, heureux ceux dont les pères ont été pendus.
Trois ou quatre jours après cette mémorable journée, et dans une de ces belles matinées du mois de novembre qui font voir aux Parisiens leurs boulevards nettoyés soudain, par le froid piquant d'une première gelée, mademoiselle de Fontaine, parée d'une fourrure nouvelle qu'elle voulait mettre à la mode, était sortie avec deux de ses belles-sœurs sur lesquelles elle avait jadis décoché le plus d'épigrammes. Ces trois dames étaient bien moins invitées à cette promenade parisienne par l'envie d'essayer une voiture très élégante et des robes qui devaient donner le ton aux modes de l'hiver, que par le désir de voir une merveilleuse pèlerine dont une de leurs amies avait remarqué la coupe élégante et originale, dans un riche magasin de lingerie situé au coin de la rue de la Paix. Quand les trois dames furent entrées dans la boutique, madame la baronne de Fontaine tira Émilie par la manche et lui montra M. Maximilien Longueville assis dans le comptoir, et occupé à rendre avec une grâce mercantile la monnaie d'une pièce d'or à la lingère
avec laquelle il semblait en conférence. Le bel inconnu tenait à la main quelques échantillons qui ne laissaient aucun doute sur son honorable profession. Sans qu'on pût s'en apercevoir, Émilie fut saisie d'un frisson glacial. Cependant, grâces au savoir-vivre de la bonne compagnie, elle dissimula parfaitement la rage qu'elle avait dans le cœur ; et répondit à sa sœur un : — Je le savais ! dont la richesse d'intonation et l'accent inimitable eussent fait envie à la plus célèbre actrice de ce temps. Elle s'avança vers le comptoir. M. Longueville lova la tête, mit les échantillons dans sa poche avec une grâce et un sang-froid désespérant ; salua mademoiselle de Fontaine, et s'approcha d'elle en lui jetant un regard pénétrant. Mademoiselle, dit-il à la lingère qui l'avait suivi d'un air très inquiet, j'enverrai régler ce compte, ma maison le veut ainsi. Mais tenez, ajouta-t-il à l'oreille de la jeune femme en lui remettant un billet de mille francs, prenez ? Ce sera une affaire entre nous. — Vous me pardonnerez, j'espère, mademoiselle, dit-il en se retournant vers Émilie. Vous aurez la bonté d'excuser la tyrannie qu'exercent les affaires.
— Mais il me semble, monsieur, que cela m'est fort indifférent, répondit mademoiselle de Fontaine en le regardant avec une assurance et un air d'insouciance moqueuse qui pouvaient faire croire qu'elle le voyait pour la première fois.
— Parlez-vous sérieusement ? demanda Maximilien d'une voix altérée.
Émilie lui avait tourné le dos avec une incroyable impertinence. Ce peu de mots, prononcés à voix basse, avaient échappé à la curiosité des deux belles-sœurs. Quand, après avoir pris la pélerine, les trois dames furent remontées en voiture, Émilie, qui se trouvait assise sur le devant, ne put s'empêcher d'embrasser, par son dernier regard, la profondeur de cette odieuse boutique, où elle vit M. Maximilien, qui resta debout et les bras croisés, dans l'attitude d'un homme supérieur au malheur dont il était si subitement atteint. Leurs yeux se rencontrèrent, et se lancèrent deux rayons d'une implacable rigueur. Chacun d'eux espéra qu'il blessait cruellement le cœur qu'il aimait, et en un moment, tous deux se trouvèrent aussi loin l'un de l'autre que s'ils eussent été, l'un à la Chine et l'autre au Groënland. La vanité a un souffle qui dessèche tout. En proie au plus violent combat qui puisse agiter le cœur d'une jeune fille, mademoiselle de Fontaine recueillit la plus ample moisson de douleurs que jamais les préjugés et les petitesses eussent semée dans
une âme humaine. Son visage frais et velouté naguère, était sillonné de tons jaunes, de taches rouges, et parfois les teintes blanches de ses joues se verdissaient soudain. Dans l'espoir de dérober son trouble à ses sœurs, elle leur montrait en riant tantôt un passant, tantôt une toilette ridicule ; mais ce rire était convulsif, et intérieurement elle se sentait plus vivement blessée de la compassion silencieuse dont ses sœurs l'accablèrent à leur insu, que des épigrammes par lesquelles elles auraient pu se venger. Elle employa tout son esprit à les entraîner dans une conversation où elle essaya d'exhaler sa colère par des contradictions insensées, et accabla les négociants des injures les plus piquantes et d'épigrammes de mauvais ton. En rentrant, elle fut saisie d'une fièvre dont le caractère eut d'abord quelque chose de dangereux ; mais au bout de huit jours, les soins de ses parents, ceux du médecin, la rendirent aux vœux de sa famille. Chacun espéra que cette leçon pourrait servir à dompter le caractère d’Émilie, qui reprit insensiblement ses anciennes habitudes et s'élança de nouveau dans le monde. Elle prétendit qu'il n'y avait pas de honte à se tromper. Si elle avait, comme son père, quelque influence à la chambre, disait-elle, elle provoquerait une loi pour obtenir que les commerçants, surtout les marchands de calicot, fussent marqués au front comme les moutons du Berry, jusqu'à la troisième génération. Elle voulait que les nobles eussent seuls le droit de porter ces anciens habits français qui allaient si bien aux courtisans de Louis XV. C'était peut-être, à l'entendre, un malheur pour la monarchie, qu'il n'y eût aucune différence entre un marchand et un pair de France. Mille autres plaisanteries, faciles à deviner, se succédaient rapidement quand un incident imprévu la mettait sur ce sujet. Mais ceux qui aimaient Émilie remarquaient à travers ses railleries une teinte de mélancolie, qui leur fit croire que M. Maximilien Longueville régnait toujours au fond de ce cœur inexplicable. Parfois elle devenait douce comme pendant la saison fugitive qui vit naître son amour, et parfois aussi elle se montrait plus insupportable qu'elle ne l'avait jamais été. Chacun excusait en silence les inégalités d'une humeur qui prenait sa source dans une souffrance tout à la fois secrète et connue.
Le comte de Kergarouët obtint un peu d'empire sur elle, grâces à un surcroît de prodigalités , genre de consolation qui manque rarement son effet sur les jeunes Parisiennes. La première fois que mademoiselle de Fontaine alla au bal, ce fut chez l'ambassadeur de Naples. Au moment où elle prit place au plus brillant des
quadrilles, elle aperçut à quelques pas d'elle, M. Longueville, qui fit un léger signe de tête à son danseur.
— Ce jeune homme est un de vos amis ? demanda-t-elle à son cavalier d'un air de dédain.
— Je le crois, répondit-il, c'est mon frère.
Émilie ne put s'empêcher de tressaillir.
— Ah ! si vous le connaissiez, reprit-il d'un ton d'enthousiasme, c'est bien la plus belle âme qui soit au monde...
— Savez-vous mon nom ? lui demanda Émilie en l'interrompant avec vivacité.
— Non, mademoiselle. C'est un crime, je l'avoue, que de ne pas avoir retenu un nom qui est sur toutes les lèvres, je devrais dire dans tous les cœurs. Cependant, j'ai une excuse valable, j'arrive d'Allemagne. Mon ambassadeur, qui est à Paris en congé, m'a envoyé ce soir ici pour servir de chaperon à son aimable femme que vous pouvez voir là-bas dans un coin.
— Mais c'est un masque tragique ! dit Émilie, après avoir examiné l'ambassadrice.
— Voilà cependant sa figure de bal, reprit en riant le jeune homme. Il faudra bien que je la fasse danser ! Aussi, ai-je voulu avoir une compensation. Mademoiselle de Fontaine s'inclina. — J'ai été bien surpris, continua le babillard secrétaire d'ambassade, de trouver mon frère ici. En arrivant de Vienne, j'ai appris que le pauvre garçon était malade et au lit. Je comptais bien le voir avant d'aller au bal ; mais la politique ne nous laisse pas toujours le loisir d'avoir des affections de famille. La dona délla casa ne m'a pas permis de monter chez mon pauvre Maximilien.
— Monsieur votre frère n'est pas comme vous dans la diplomatie? dit Émilie.
— Non, le pauvre garçon, dit le secrétaire en soupirant. Il s'est sacrifié pour moi ! Lui et ma sœur Clara ont renoncé à la fortune de mon père, afin qu'il pût réunir sur ma tête un immense majorat. Mon père rêve la pairie, comme tous ceux qui votent pour le ministère. Il a la promesse d'être nommé, ajouta-t-il à voix
basse. Alors mon frère, après avoir réuni quelques capitaux, s'est mis dans une maison de banque, où il a promptement réussi. Je sais qu'il vient de faire avec le Brésil une spéculation qui peut le rendre millionnaire, et suis tout joyeux d'avoir contribué par mes relations diplomatiques à lui en assurer le succès. J'attends même avec impatience une dépêche de la légation brésilienne qui sera de nature à lui dérider le front. Comment le trouvez-vous ?
— Mais la figure de monsieur votre frère ne me semble pas être celle d'un homme occupé d'argent.
Le jeune diplomate scruta par un seul regard la figure en apparence calme de sa danseuse.
— Comment, dit-il en souriant, les demoiselles devinent donc aussi les pensées d'amour à travers les fronts muets ?
— Monsieur votre frère est amoureux, demanda-t-elle en laissant échapper un geste de curiosité.
— Oui. Ma sœur Clara, pour laquelle il a des soins maternels, m'a écrit qu'il s'était amouraché, cet été, d'une fort jolie personne ; mais depuis, je n'ai pas eu des nouvelles de ses amours. Croiriez-vous que le pauvre garçon se levait à cinq heures du matin, et allait expédier ses affaires afin de pouvoir se trouver à quatre heures à la campagne de la belle. Aussi a-t-il abîmé un charmant cheval de race pure dont je lui avais fait cadeau. Pardonnez-moi mon babil, mademoiselle, j'arrive d'Allemagne. Depuis un an, je n'ai pas entendu parler correctement le français ; je suis sevré de visages français et rassasié d'allemands, si bien que, dans ma rage patriotique, je parlerais, je crois, aux chimères d'un candélabre, pourvu qu'elles fussent faites en France. Puis si je cause avec un abandon peu convenable chez un diplomate, la faute en est à vous, mademoiselle. N'est-ce pas vous qui m'avez montré mon frère ? et, quand il est question de lui, je suis intarissable. Je voudrais pouvoir dire à la terre entière combien il est bon et généreux. Il ne s'agissait de rien moins que de cent vingt mille livres de rente que rapporte la terre de Longueville et dont il a laissé mon père disposer en ma faveur !
Si mademoiselle de Fontaine obtint des révélations aussi importantes, elle les dut en partie à l'adresse avec laquelle elle sut interroger son confiant cavalier, du
moment où elle apprit qu'il était le frère de son amant dédaigné. Cette conversation tenue à voix basse et maintes fois interrompue, roula sur trop de sujets divers, pour être rapportée en entier.
— Est-ce que vous avez pu, sans quelque peine, voir monsieur votre frère vendre des mousselines et des calicots ? demanda Émilie, après avoir accompli la troisième figure de la contredanse.
— D'où savez-vous cela ? lui demanda le diplomate. Dieu merci ! tout en débitant un flux de paroles, j'ai déjà l'art de ne dire que ce que je veux, ainsi que tous les apprentis ambassadeurs de ma connaissance.
— Vous me l'avez dit, je vous assure.
M. de Longueville regarda mademoiselle de Fontaine avec un étonnement plein de perspicacité. Un soupçon entra dans son âme. Il interrogea successivement les yeux de son frère et de sa danseuse ; il devina tout, pressa ses mains l'une contre l'autre, leva les yeux au plafond, se mit à rire, et dit : — Je ne suis qu'un sot ! Vous êtes la plus belle personne du bal, mon frère vous regarde à la dérobée, il danse malgré la fièvre, et vous feignez de ne pas le voir. Faites son bonheur, dit-il, en la reconduisant auprès de son vieil oncle, je n'en serai pas jaloux ; mais je tressaillirai toujours un peu, en vous nommant ma sœur...
Cependant les deux amants devaient être aussi inexorables l'un que l'autre pour eux-mêmes.
Vers les deux heures du matin, l'on servit un ambigu dans une immense galerie où, pour laisser les personnes d'une même coterie libres de se réunir, les tables avaient été disposées comme elles le sont chez les restaurateurs. Par un de ces hasards qui arrivent toujours aux amans, mademoiselle de Fontaine se trouva placée à une table voisine de celle autour de laquelle se mirent les personnes les plus distinguées de la fête. Maximilien faisait partie de ce groupe. Émilie, qui prêta une oreille attentive aux discours tenus par ses voisins, put entendre une de ces conversations qui s'établissent si facilement entre les femmes de trente ans et les jeunes gens qui ont les grâces et la tournure de Maximilien Longueville. L'interlocutrice du jeune banquier était une duchesse napolitaine, dont les yeux lançaient des éclairs, et dont la peau blanche avait l'éclat du satin. L'intimité que le
jeune Longueville affectait d'avoir avec elle blessa d'autant plus mademoiselle de Fontaine qu'elle venait de rendre à son amant vingt fois plus de tendresse qu'elle ne lui en portait jadis.
— Oui, monsieur, dans mon pays, le véritable amour sait faire toute espèce de sacrifices, disait la duchesse en minaudant.
— Vous êtes plus passionnées que ne le sont les Françaises, dit Maximilien dont le regard enflammé tomba sur Émilie. Elles sont tout vanité.
— Monsieur, reprit vivement la jeune fille, n'est - ce pas une mauvaise action que de calomnier sa patrie. Le dévouement est de tous les pays.
— Croyez-vous, mademoiselle, reprit l'Italienne avec un sourire sardonique, qu'une Parisienne soit capable de suivre son amant partout ?
— Ah ! entendons-nous, madame ? On va dans un désert y habiter une tente, on ne va pas s'asseoir dans une boutique !
Elle acheva sa pensée en laissant échapper un geste de dédain. Ainsi l'influence exercée sur Émilie par sa funeste éducation tua deux fois son bonheur naissant, et lui fit manquer son existence. La froideur apparente de Maximilien et le sourire d'une femme lui arrachèrent un de ces sarcasmes dont elle ne se refusait jamais la perfide jouissance.
— Mademoiselle, lui dit à voix basse M. Longueville à la faveur du bruit que firent les femmes en se levant de table, personne ne formera pour votre bonheur des vœux plus ardents que ne le seront les miens. Permettez-moi de vous donner cette assurance en prenant congé de vous. Dans quelques jours, je partirai pour l'Italie.
— Avec une duchesse, sans doute ?
— Non, mademoiselle, mais avec une maladie mortelle peut-être.
— N'est-ce pas une chimère, demanda Émilie en lui lançant un regard inquiet.
— Non, dit-il, il est des blessures qui ne se cicatrisent jamais.
— Vous ne partirez pas ! dit l'impérieuse jeune fille en souriant.
— Je partirai, reprit gravement Maximilien.
— Vous me trouverez mariée au retour, je vous en préviens ! dit-elle avec coquetterie.
— Je le souhaite.
— L'impertinent, s'écria-t-elle. Se venge-t-il assez cruellement.
Quinze jours après, M. Maximilien Longueville partit avec sa sœur Clara pour les chaudes et poétiques contrées de la belle Italie, laissant mademoiselle de Fontaine en proie aux plus violents regrets. Le jeune et sémillant secrétaire d'ambassade épousa la querelle de son frère, et sut tirer une vengeance éclatante des dédains d’Émilie en publiant les motifs de la rupture des deux amants. Il rendit avec usure à sa danseuse les sarcasmes qu'elle avait jadis lancés sur Maximilien, et fit souvent sourire plus d'une Excellence, en peignant la belle ennemie des comptoirs, l'amazone qui prêchait une croisade contre les banquiers, la jeune fille dont l'amour s'était évaporé devant un demi-tiers de mousseline. Le comte de Fontaine fut obligé d'user de son crédit pour faire obtenir à M. Auguste Longueville une mission en Russie, afin de soustraire sa fille au ridicule que ce jeune et dangereux persécuteur versait sur elle à pleines mains.
Bientôt le ministère, obligé de lever une conscription de pairs, pour soutenir les opinions aristocratiques qui chancelaient dans la noble chambre à la voix d'un illustre écrivain, nomma M. Longueville pair de France et vicomte. M. de Fontaine obtint aussi la pairie, récompense due autant à sa fidélité pendant les mauvais jours, qu'à son nom qui manquait à la chambre héréditaire.
Vers cette époque, mademoiselle de Fontaine, âgée de vingt-deux ans, se mit à faire de sérieuses réflexions sur la vie, et changea sensiblement de ton et de manières. Au lieu de s'exercer à dire des méchancetés à son oncle, elle lui prodigua les soins les plus affectueux. Elle lui apportait sa béquille avec une persévérance de tendresse qui faisait rire les plaisants. Elle lui offrait le bras, allait dans sa voiture, et l'accompagnait dans toutes ses promenades. Elle lui persuada même qu'elle n'était point incommodée par l'odeur de la pipe, et lui lisait sa chère Quotidienne au milieu des bouffées de tabac que le malicieux marin lui envoyait à dessein. Elle apprit le piquet pour faire la partie du vieux comte. Enfin cette jeune personne si
fantasque écoulait avec attention les récits que son oncle recommençait périodiquement, du combat de la Belle-Poule, des manœuvres de la Fille-de-Paris, de la première expédition de M. de Suffren , ou de la bataille d'Aboukir. Quoique le vieux marin eût souvent dit qu'il connaissait trop sa longitude et sa latitude pour se laisser capturer par une jeune corvette ; un beau matin, les salons de Paris apprirent que mademoiselle de Fontaine avait épousé le comte de Kergaroûet. La jeune comtesse donna des fêtes splendides pour s'étourdir ; mais elle trouva sans doute le néant au fond de ce tourbillon. Le luxe cachait imparfaitement le vide et le malheur de son ale souffrante, car, la plupart du temps, malgré les éclats d'une gaîté feinte, sa belle figure exprimait une sourde mélancolie. Émilie paraissait d'ailleurs pleine d'attentions et d'égards pour son vieux mari, qui, souvent, en s'en allant dans son appartement le soir au bruit d'un joyeux orchestre, disait à ses vieux camarades qu'il ne se reconnaissait plus, et qu'il ne croyait pas qu'à l'âge de soixante-quinze ans il dût s'embarquer comme pilote sur LA BELLE EMILIE. La conduite de la comtesse était empreinte d'une telle sévérité, que la critique la plus clairvoyante n'avait rien à y reprendre. Les observateurs pensaient que le contre-amiral s'était réservé le droit de disposer de sa fortune pour enchaîner plus fortement sa femme ; supposition qui faisait injure à l'oncle et à la nièce. L'attitude des deux époux fut d'ailleurs si savamment calculée, qu'il devint presque impossible aux jeunes gens intéressés à deviner le secret de ce ménage, de savoir si le vieux comte traitait sa femme en amant ou en père. On lui entendait dire souvent qu'il avait recueilli sa nièce comme une naufragée, et que, jadis, il n'avait jamais abusé de l'hospitalité quand il lui arrivait de sauver un ennemi de la fureur des orages. Bientôt la comtesse de Kergarouet rentra insensiblement dans une obscurité qu'elle semblait désirer, et Paris cessa de s'occuper d'elle.
Deux ans après son mariage, elle se trouvait au milieu d'un des antiques salons du faubourg Saint-Germain où son caractère, digne des anciens temps, était admiré, lorsque tout à coup M. le vicomte de Longueville y fut annoncé. La comtesse était ensevelie dans un coin du salon où elle faisait le piquet de l'évêque de Persépolis, son émotion ne fut donc remarquée de personne. En tournant la tête, elle avait vu entrer Maximilien dans tout l'éclat de la jeunesse. La mort de son père et celle de son frère tué par l'inclémence du climat de Pétersbourg, avaient posé sur sa tête les plumes héréditaires du chapeau de la pairie. Sa fortune égalait ses connaissances et son mérite. La veille même, sa jeune et bouillante éloquence
avait éclairé l'assemblée. En ce moment, il apparaissait à la triste comtesse, libre et paré de tous les dons qu'elle avait rêvés pour son idole. Le vicomte était l'orgueil des salons.
Toutes les mères qui avaient des filles à marier lui faisaient de coquettes avances. Il était réellement doué des vertus qu'on lui supposait en admirant sa grâce ; mais Émilie savait, mieux que tout autre, qu'il possédait cette fermeté de caractère dans laquelle les femmes prudentes voient un gage de bonheur. Elle jeta les yeux sur l'amiral, qui, selon son expression familière, paraissait devoir tenir encore longtemps sur son bord, elle lança un regard de résignation douloureuse sur cette tête grise; puis, elle revit d'un coup d’œil les erreurs de son enfance pour les condamner, et maudit les lingères.
En ce moment, M. de Persépolis lui dit avec une certaine grâce épiscopale : — Ma belle dame, vous avez écarté le roi de cœur, j'ai gagné ; mais ne regrettez pas votre argent, je le réserve pour mes petits séminaires.
Paris, décembre 1829.
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index 4dfbd87..7d7c83b 100644
--- a/bin/.gitignore
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@@ -1,5 +1,3 @@
-/MEPTL/
-/action/
/calcul/
/evaluer/
/fenetres/
@@ -9,22 +7,3 @@
/sousmenuEvaluation/
/sousmenuRecherche/
/sousmenuRepresentation/
-/verifhistoriquemini.png
-/verifhistoriquestudent.png
-/verifhistoriquestudent.svg
-/verifhistoriquestudentmini.png
-/versevaluate.png
-/versevaluate.svg
-/versevaluatemini.png
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-/versfichierAnalyseModifmax.svg
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-/voirmini.png
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-/zip.png
-/zip.svg
-/zipmini.png
-/zipstudent.png
-/zipstudent.svg
-/zipstudentmini.png
diff --git a/bin/MEPTL/VerificationHistorique.class b/bin/MEPTL/VerificationHistorique.class
new file mode 100644
index 0000000..7bdf198
Binary files /dev/null and b/bin/MEPTL/VerificationHistorique.class differ
diff --git a/bin/action/actOpenHistoriqueEvaluation.class b/bin/action/actOpenHistoriqueEvaluation.class
new file mode 100644
index 0000000..fc391da
Binary files /dev/null and b/bin/action/actOpenHistoriqueEvaluation.class differ
diff --git a/bin/action/actPathBaseEvaluations.class b/bin/action/actPathBaseEvaluations.class
new file mode 100644
index 0000000..119c818
Binary files /dev/null and b/bin/action/actPathBaseEvaluations.class differ
diff --git a/bin/evaluer/evaluationAttribut.class b/bin/evaluer/evaluationAttribut.class
index c0ad603..0bc3bf9 100644
Binary files a/bin/evaluer/evaluationAttribut.class and b/bin/evaluer/evaluationAttribut.class differ
diff --git a/src/evaluer/evaluationAttribut.java b/src/evaluer/evaluationAttribut.java
index af0933e..b0f569d 100644
--- a/src/evaluer/evaluationAttribut.java
+++ b/src/evaluer/evaluationAttribut.java
@@ -654,14 +654,26 @@ public class evaluationAttribut {
int calcul = 0;
node nodeSujetfrereAvant = sujet.retourneLeNodeFrereAvant();
node nodParentSujet = sujet.getParent();
- if(nodParentSujet!=null)if(sujet.getParent().getNomElt().equals("OU")) {
+ if(nodParentSujet!=null)if(nodParentSujet.getNomElt().equals("OU")) {
nodeSujetfrereAvant = nodParentSujet.retourneLeNodeFrereAvant();
}
if(nodeSujetfrereAvant!=null)if(nodeSujetfrereAvant.getNomElt().equals("OU")) {
nodeSujetfrereAvant = nodeSujetfrereAvant.getNodes().get(0);
}
+ while(nodParentSujet.getNomElt().equals("text:span")) {
+ nodParentSujet = nodParentSujet.getParent();
+ sujet = sujet.getParent();
+ }
+
node nodeStudentfereAvant = nodeStudent.retourneLeNodeFrereAvant();
+ //si le node frère avant est null alors traitement des nodes text:span (formatage local des caractères)
+ if(nodeStudentfereAvant==null) {
+ while(nodeStudent.getParent().getNomElt().equals("text:span")){
+ nodeStudentfereAvant = nodeStudent.getParent().retourneLeNodeFrereAvant();
+ nodeStudent = nodeStudent.getParent();
+ }
+ }
if(nodeSujetfrereAvant==null) nodeSujetfrereAvant = new node();
if(nodeStudentfereAvant==null) nodeStudentfereAvant = new node();
String A = nodeSujetfrereAvant.retourneLesContenusEnfants("");
diff --git a/src/fenetres/baseDonneesEvaluations.java b/src/fenetres/baseDonneesEvaluations.java
index 9e05179..0b90d6e 100644
--- a/src/fenetres/baseDonneesEvaluations.java
+++ b/src/fenetres/baseDonneesEvaluations.java
@@ -291,10 +291,13 @@ private void chargeEvaluationSelected(node evaluation) {
commandes.ecritNoteCSV = Boolean.valueOf(evaluation.getAttributs().get("ecritNoteCSV"));
commandes.newLogo = Boolean.valueOf(evaluation.getAttributs().get("newLogo"));
commandes.noLogo = Boolean.valueOf(evaluation.getAttributs().get("noLogo"));
-
commandes.fourniCSV = Boolean.valueOf(evaluation.getAttributs().get("fourniCSV"));
commandes.nameCSV = evaluation.getAttributs().get("nameCSV");
+ if(evaluation.getAttributs().get("analyse_nombres_modifications_simultané_maxi")!=null) {
+ commandes.analyse_nombres_modifications_simultané_maxi = Integer.valueOf(evaluation.getAttributs().get("analyse_nombres_modifications_simultané_maxi"));
+ }
+
commandes.fourniCSV = Boolean.valueOf(evaluation.getAttributs().get("fourniCSV"));
commandes.nameSVG = evaluation.getAttributs().get("nameSVG");
@@ -491,6 +494,7 @@ private node creationNodeEvaluation(node evaluation, String name) {
evaluation.getAttributs().put("ecritNoteCSV", String.valueOf(commandes.ecritNoteCSV) );
evaluation.getAttributs().put("newLogo", String.valueOf(commandes.newLogo) );
evaluation.getAttributs().put("noLogo", String.valueOf(commandes.noLogo) );
+ evaluation.getAttributs().put("analyse_nombres_modifications_simultané_maxi", String.valueOf(commandes.analyse_nombres_modifications_simultané_maxi) );
//Supprime le node fichier s'il existe.
node nodremove = evaluation.retourneFirstEnfantsByName("fichier");