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Prenons un peu de recul sur ce qu’il se passe à Zaporijia. Il est important de préciser certains éléments.

La centrale nucléaire de Zaporijia en Ukraine, et ses six VVER-1000/320

La centrale nucléaire de Zaporijia (ZNPP) est dotée de six 6 réacteurs, des VVER-1000 modèle V-320, l’équivalent soviétique de nos Réacteurs à Eau sous Pression (REP en français). Ce sont des réacteurs de 3000MW thermiques et de 960MW électriques nets. C’est la filière qui a été déployée après les réacteurs RBMK (comme le réacteur responsable de l’accident de Tchernobyl). Pour bien comprendre tout cela, on va commencer par quelques bases de sûreté nucléaire, ensuite il faudra regarder quels sont les besoins actuels de la centrale et quelles évolutions sont possibles avec tous ces éléments de contexte. Je précise que je vais souvent me restreindre à la situation actuelle à la ZNPP, et que souvent, par manque d’informations sur les VVER, il faudra faire des analogies avec nos REP français.

Bases de sûreté nucléaire

La sûreté nucléaire

Que signifie sûreté nucléaire ? Il existe une définition, utilisée par toute l’industrie nucléaire française.

La sûreté nucléaire recouvre l’ensemble des dispositions techniques et les mesures d’organisation prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. Elles concernent la conception, la construction, le fonctionnement, l’arrêt et le démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi que le transport des substances radioactives. la sûreté nucléaire est une composante de la sécurité nucléaire qui comprend, en outre, la radioprotection, la prévention et la lutte contre les actions de malveillance, ainsi que les actions de sécurité civile en cas d’accident. Il s’agit donc à la fois :

\-D’assurer des conditions de fonctionnement normal de l’installation sans exposition excessive des travailleurs aux rayonnements ionisants, et sans rejets excessifs de radioactivité dans l’environnement ;

\-De prévenir les incidents et accidents ;

\-En cas d’incidents ou d’accidents, de limiter les effets sur les travailleurs, les populations et l’environnement.

Les trois fonctions de sûreté

Il faut en permanence surveiller les paramètres physiques du réacteur. On les appelle les « fonctions de sûreté ». Il y en a trois :

https://miro.medium.com/v2/resize:fit:700/0*FUAWsQ1MS0sVmsi4

Issu du thread sur les réacteurs à sels fondus

La défense en profondeur

Le principe de la défense en profondeur est une méthode qui consiste à établir des barrières pour éviter le passage à l’étape suivante. Si l’étape 1 échoue, on passe à la 2, et ainsi de suite. C’est une norme internationale, les VVER-1000 comme les REPs occidentaux appliquent ce principe.

Regardons chaque point succinctement.

  1. Prévention.

La conception des réacteurs est pensée de façon à limiter la probabilité d’accident grave (typiquement une fusion du cœur), les opérateurs sont formés longtemps, évalués très fréquemment. La conception définie les matériels nécessaires au maintien des fonctions de sûreté. Sur l’EPR, on a par exemple 3 branches d’injection de sécurité indépendantes et redondantes pouvant chacune assurer leur fonction de sûreté à 100% (il y en a aussi une quatrième qu’on suppose en maintenance). Les matériels sont également testés. Certains matériels ne seront probablement jamais utilisés en fonctionnement normal sur tout la vie de la centrale, mais malgré cela il est important de tester chaque composant pour vérifier que dans une situation accidentelle éventuelle, le système associé serait apte à remplir sa fonction de sûreté. Concrètement on teste des pompes d’injection de sécurité, on fait des épreuves hydrauliques pour tester la résistance du circuit primaire à une pression 1.3 fois supérieure à la pression en fonctionnement normal, on entraine les opérateurs sur des situations incidentelles, etc

2\. Détection et maitrise des accidents.

La détection passe par de multiples capteurs (pression, température, niveau d’eau, niveau de radioactivité…). Cela implique également beaucoup d’automatismes (très présents sur les EPR&EPR2) pour limiter les erreurs humaines et assurer une réponse plus rapide. A titre d’exemple, le système d’arrêt automatique réacteur (AAR) est présent sur tous les réacteurs, même les plus anciens.

3\. Maitrise des situations accidentelles.

Maitriser une situation incidentelle qui pourrait mener à une situation accidentelle. Cela passe concrètement par une formation spécifique en accidentel pour les agents EDF. Les accidents sont classés en plusieurs familles, typiquement la perte de réfrigérant primaire (APRP), une rupture tube dans un générateur de vapeur (RTGV), perte électrique totale (PTEA), perte totale d’eau alimentaire (PTAE), rupture d’une tuyauterie d’eau ou de vapeur (RTE/RTV). Plus d’informations sur les APRP et les RTGV sur cet article de l’IRSN de 2013.

4\. Gestion des accidents graves.

Pour en arriver là, il faut qu’on ait raté toutes les étapes précédentes, donc on passe en situation de gestion de l’accident pour en limiter les conséquences, pour éviter toute contamination à l’extérieur. Concrètement, cela passe par des systèmes passifs de captation du dihydrogène (un gaz inflammable qui est responsable des explosions des réacteurs 1,2,4 de Fukushima). Sur EPR, c’est un récupérateur de corium (une sorte de magma de combustible, d’acier de cuve et autres produits divers qu’on ne veut pas voir sur le gazon). Au niveau humain, cela passe par un plan national de gestion des accidents graves, et au niveau local par l’intervention de la FARN (on y reviendra).

5\. Protection des populations.

La dernière étape, en cas de rejets prévus ou ayant déjà eu lieu, il faut évacuer les personnes les plus proches du site nucléaire accidenté, pour limiter les conséquences sanitaires. L’exemple le plus connu est la distribution de pastille d’iodes. l’iode contenu dans ces pastilles se fixe sur la thyroïde pour la saturer et éviter que l’iode radioactif (qui vient directement du coeur) ne vienne s’y fixer. Il existe aussi des plans d’évacuation dans un rayon décidé par la préfecture sur la base des informations techniques données par EDF avec l’appui technique de l’IRSN.

Sur Zaporijia, on se situe à la limite entre les points 2 et 3, la situation pouvant évoluer assez rapidement. Pour l’instant, tout est au point 2, mais cela nécessite le maintien d’une alimentation électrique externe stable.

Les 3 barrières de confinement

Si on parle de confinement, c’est celui des matières radioactives. Elles sont présentes dans le cœur, là où on met le combustible qui va chauffer le fluide primaire. L’objectif est d’éviter tout rejet incontrôlé dans l’environnement extérieur. Ce confinement est assuré par trois barrières successives.

La première barrière se situe sur les assemblages de combustible (là où est l’uranium enrichi), une gaine en zirconium qui permet d’éviter de d’isoler les produits de fission de l’eau du circuit primaire.

La seconde barrière est le “circuit primaire fermé”, fermé car c’est une boucle, les générateurs de vapeur constituent une interface d’échange thermique (pas d’échange de matière) qui empêche les éléments radioactifs de sortir. Si on a une rupture de gaine, les éléments radioactifs sont maintenus dans le fluide primaire, ce n’est pas une situation normale, mais au moins on ne rejette rien.

La troisième est l’enceinte du Bâtiment Réacteur (BR), qui assure le confinement si les deux barrières précédentes ont échoué. Imaginez qu’on ait des ruptures de gaine de combustible et une fuite dans le circuit primaire, alors tout doit rester confiné à l’intérieur de la structure. Cette barrière a été brisée lors des deux accidents nucléaires majeurs, à savoir Tchernobyl puis Fukushima-Daichii (classés niveau 7 de l’échelle INES).

Echelle INES, Sûreté nucléaire : qu’est-ce que l’échelle INES ? (lenergeek.com)

L’arrêt automatique réacteur

Un point également sur la rapidité d’arrêt de la réaction nucléaire, cela a lieu en quelques secondes ou minutes. On utilise les barres de contrôle, constituées de matériaux neutrophages, cela permet d’arrêter la réaction au niveau neutronique (à noter que la baisse de température augmente la réactivité il faut donc injecter du bore dans le fluide primaire pour éviter une reprise de la réaction).

Les réacteurs VVER-1000/320 comme tous les REP exploités par EDF disposent d’un dispositif d’Arrêt Automatique Réacteur (AAR) qui consiste en une chute automatique des barres de contrôle . Un arrêt à chaud est la phase qui suit un AAR, «chaud» car le fluide primaire et le combustible (ainsi que l’inertie thermique des structures et la puissance des pompes primaires) ont besoin de temps pour refroidir. A Zaporijia, tous les réacteurs ont donc passé l’étape de l’AAR.

Les barres de contrôle permettent de stopper la réaction nucléaire. Source: Les mots (free.fr)

Les différents états d’un réacteur nucléaire

Pourquoi c’est important ici ? Car la situation d’arrêt détermine les besoins de refroidissement du circuit primaire, et donc le temps pour atteindre une situation stabilisée. Petite précision, ici la puissance résiduelle est au premier ordre liée à la chaleur résiduelle produite par les produtis de fission des assemblages, et pas à la température de l’eau du primaire.

Sachez qu’il existe une classification officielle, que je n’utilise pas ici à des fins de simplification. Il existe 6 états nommés de A à F (IRSN, p.259–260).

La piscine d’entreposage de combustible usé

C’est une piscine, avec une source de chaleur interne qui vient des assemblages combustibles, on regarde à quel point elle est remplie. C’est important car les assemblages usés sont encore chauds (décroissance radioactive des produits de fission) et doivent aussi être refroidis. Il y a donc un besoin électrique pour faire circuler l’eau de refroidissement.

Piscine de la centrale nucléaire de Gravelines

Situations accidentelles causées par des agressions externes

Que ce soit en cas de conflit armé, ou de phénomène naturels comme des inondations ou des séismes, il est important de regarder les points suivants.

  1. Etat d’arrêt de chaque réacteur (chaud ou froid), pour évaluer quel est le besoin énergétique pour le refroidissement du cœur. Le temps est le meilleur allié face à la puissance résiduelle. Actuellement, sur le site de ZNPP, 5 réacteurs sur 6 sont en arrêt à froid, et depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Il reste donc environ 4MWth de puissance résiduelle par cœur en arrêt à froid. Pour le détail des calculs, allez lire cette étude. Un réacteur est encore en arrêt à chaud pour la production de chaleur des villes autour. C’est le réacteur n°6, qui est surveillé de très près par l’AIEA car c’est celui qui nécessite le plus d’électricité pour son refroidissement.

Evolution de la puissance résiduelle d’un cœur de 3 000 MWth de puissance nominale après un arrêt en fin de cycle. ( SFEN )

  1. Alimentation électrique externe (lignes 330 & 750kV, 20 groupes électrogènes de secours de 6,6 kV chacun), pour alimenter les circuits de refroidissement. L’IRSN a d’ailleurs soulevé un point important sur les VVER-1000, la source de refroidissement ultime ne dispose pas d’une autonomie suffisante en accidentel, d’où l’intérêt de garder l’alimentation externe. Il est important de noter que depuis peu de temps, deux groupes électrogènes bunkerisés et donc protégés contre les actes de malveillance, sont installés à la ZNPP. Depuis l’accident de Fukushima, les centrales se sont adaptées en cas de situation de perte totale d’alimentation électrique, et disposent de moyens mobiles d’appoint en eau et en électricité. Concrètement, un camion avec une pompe thermique (à eau) est capable d’alimenter les générateurs de vapeur en eau froide, à partir d’une source froide à distance raisonnable du réacteur, pendant 3 jours. Cela peut s’avérer utile pour le réacteur en arrêt à chaud. Il existe aussi ​un groupe électrogène mobile, monté lui aussi sur un camion (3 jours d’autonomie).

Sur les REP français, comme sur les VVER, l’alimentation électrique externe est essentielle à la sûreté et le système présente de nombreuses voies indépendantes et redondantes. Comme les 6 réacteurs de Zaporijia sont en situation d’arrêt, il n’est pas nécessaire d’étudier le transitoire d’îlotage (capacité d’un réacteur à s’isoler du réseau électrique tout en passant en fonctionnement autonome à puissance réduite).

Principe de l’alimentation électrique d’une centrale française de type REP ( IRSN )

  1. Remplissage du cœur, pour savoir s’il reste une chaleur résiduelle à évacuer. Ce point est très lié au point 1, puisqu’il s’agit de savoir quels sont les besoins en refroidissement pour le circuit primaire. Il serait pertinent de vider les cœurs de leurs assemblages, ainsi que les piscines, pour éviter tout risque radiologique. C’est évidemment très compliqué dans un contexte de guerre. Surtout que cela représente un volume de combustible très important, et une logistique complexe. Et certains assemblages sont trop chauds pour être évacués. D’ailleurs, si vous connaissez bien l’accident de Fukushima-Daiichi, vous pouvez rétorquer que le réacteur 4 avait pourtant un cœur vide, et a explosé malgré tout. Mais c’est parce que l’hydrogène du réacteur 3 s’est infiltré dans le 4 via une conduite commune.

  2. Remplissage des piscines du combustible usé, pour évaluer quel est le besoin énergétique pour le refroidissement de la piscine. (Article à ce propos). C’est un point souvent négligé, voire oublié. Or les matières radioactives du bâtiment combustible ont elles aussi besoin d’être refroidies après un cycle dans le cœur, les produits de fission dégagent encore une chaleur résiduelle qu’il faut évacuer, sous peine d’évaporer l’eau des piscines, ce qui mènerait à une fusion des assemblages combustibles. A Fukushima-Daiichi, il y avait 1300 assemblages dans la piscine (environ 3 cœurs) du réacteur n°4. Or l’enceinte de confinement, qui contient le bâtiment combustible, était endommagée. Et une fusion de ces assemblages aurait incontestablement mené à un dégagement très important de radionucléides dans l’environnement. Un article qui détaille la situation à Fukushima. Ces évènements ont mené à la création de la Force d’Action Rapide Nucléaire (FARN), pour assurer des appoints en eau, air et en électricité (elle a d’autres rôles détaillés ici ). Quelle est la situation des piscines de la ZNPP? Il semblerait qu’il y ait près de 3400 assemblages combustibles entreposés sur site (article de Reuters). C’est beaucoup, et une perte d’eau de refroidissement des piscines pourrait mener à des rejets importants.

« Selon une communication de l’Ukraine à l’AIEA en 2017, il y avait 3 354 assemblages de combustible usé dans l’installation de combustible usé sec et environ 1 984 assemblages de combustible usé dans les piscines. »

J’ajoute qu’il y a également des stockages «à sec» sur le site, on ne le fait pas en France, mais ailleurs dans le monde cela est pratiqué. L’avantage de ces conteneurs est l’absence de besoin en refroidissement par eau (pas besoin de pompe ni d’eau). En revanche, une explosion qui viendrait endommager pourrait conduire à des rejets de radionucléides. Je ne connais pas la résistance de ces conteneurs, je ne prononcerai pas sur leur comportement à proximité d’explosion. En revanche la nature des déchets nucléaires stockés à l’intérieur permet d’estimer qu’une explosion causerait une dispersion sur un rayon limité, une centaine de mètre environ d’après Olivier Dubois adjoint du directeur de l’expertise de sûreté de l’IRSN, dans cette vidéo de l’Express. Toujours depuis Fukushima, le site de ZNPP dispose d’une pompe thermique mobile autonome (autonomie de 3 jours), montée sur un camion, assurant un appoint en eau dans la piscine combustible pour compenser les pertes d’eau par vaporisation. Ci-dessous, l’intervention qui a «inspiré» les ingénieurs en sûreté nucléaire pour cette solution d’appoint pour la piscine. C’était à Fukushima, sur l’unité n°4, pour les piscines combustibles.

Remettre de l’eau dans les piscines grâce aux lances des pompiers, assez original comme système de refroidissement, mais dans ce genre de situation, on fait avec ce qu’on peut.

  1. Intégrité du circuit primaire et du bâtiment réacteur, pour prévoir d’éventuels rejets extérieurs. On peut imaginer un endommagement du bâtiment réacteur par des missiles (ils va en falloir des costauds), est-ce problématique ? Oui, en situation accidentelle, car cet impact pourrait fragiliser la structure. Maintenant si on imagine (scénario très improbable) que le missile arrive à traverser l’enceinte du BR, alors il faut voir quel est l’état des pièces à l’intérieur. On parle d’un missile capable de transpercer 2.4m de béton armé, disposer d’une telle arme est peu courant. Il faut vraiment le faire exprès. On peut aussi dire que étant donné la taille des BR, il est peu probable d’endommager toutes les structures de sauvegarde, et l’avantage du VVER-1000 est qu’il présente une triple redondance des systèmes de sauvegarde (comme l’EPR), on peut donc imaginer un scénario où on aurait 2 systèmes de sauvegarde indisponibles, le dernier prendrait alors le relai.

Enceinte du bâtiment réacteur n°4 après une frappe, novembre 2022 (Wikipedia)

Il est également important de préciser que les Russes ont stocké du matériel militaire dans le bâtiment de la turbine (circuit secondaire, sans risque radiologique). Ce sont des explosifs de combat, pas des anti-bunkers, une explosion dans cette zone causerait des dégâts irréversibles au secondaire, mais le risque radiologique serait très faible. Et l’endommagement du bâtiment réacteur serait très limité également.

Le bâtiment secondaire est séparé du BR, et n’est pas renforcé en béton armé.

Les “stress tests” sur les VVER

Il est également important de préciser que la sûreté s’améliore avec le temps, et la centrale nucléaire de Zaporijia ne fait pas exception. Pour les plus curieux, vous trouverez la liste des “stress test” auxquels elle a été soumise (ВСТУП). C’est le retour d’expérience des trois précédents accidents nucléaires (Three Miles Island, Tchernobyl et Fukushima-Daichii) qui est utilisé principalement pour déterminer ces résistances.

Les besoins actuels des réacteurs de Zaporijia

Le besoin principal qui focalise l’attention de tous les techniciens et ingénieurs sur place est l’alimentation électrique externe. C’est le point d’intérêt de l’AIEA le plus critique. Dans son point de situation du 15/05/2023 l’IRSN explique :

« Une seule ligne d’alimentation électrique de 750 kV est actuellement opérante pour assurer le fonctionnement des systèmes de refroidissement des assemblages combustibles. En cas de défaillance de cette alimentation électrique, 20 groupes électrogènes de secours sont disponibles pour prendre le relai et assurer l’alimentation électrique de la centrale. »

La centrale possède 4 lignes d’alimentation externe de 750kV, d’après les informations disponibles à l’heure actuelle, une seule fonctionne parfaitement. Concernant les groupes électrogènes de secours, la ZNPP a besoin de personnel pour la maintenance, de pièces détachées, et évidemment, de combustible pour les alimenter. Précisons également que l’approvisionnement en combustible serait plus aisé par l’ouest, la zone étant sous contrôle ukrainien, mais le site demeure encore sous contrôle russe.

https://miro.medium.com/v2/resize:fit:700/0*3Y6Lp42vHwGOoOcs

Situation au 31/05/2023

La centrale a également besoin d’une source froide pour évacuer la puissance résiduelle, la récente attaque du barrage de Kakhovka montre que la source froide habituelle est menacée, le niveau d’eau baisse d’environ 5cm par heure. Le site de Zaporijia est conçu en temps normal pour utiliser le réservoir “cooling pond” comme réservoir tampon pour s’affranchir des variations de débit du fleuve Dniepr. Les réacteurs étant à l’arrêt on utilise un système d’évacuation de la chaleur par air, où l’eau est projetée via des “sprinklers”. Il faut compenser cette perte d’eau par évaporation par un appoint en eau, et cet appoint en eau peut suffire quelques semaines selon l’IRSN (point de situation du 7 juin 2023), voire mois selon l’AIEA (Déclaration du directeur général de l’AIEA).

Quelle temporalité ?

Un besoin essentiel est également celui d’avoir du personnel qualifié sur place, et le contexte de guerre n’aide pas. Une centrale sûre sans humains n’existe pas, et le stress constant auquel sont soumises les équipes ne favorise pas un environnement sain pour travailler dans une centrale nucléaire.

Ce délai de 25 jours (grand maximum) est crucial, car si les autorités mondiales savent, grâce aux informations de l’AIEA, que la centrale de Zaporijjia a absolument besoin d’électricité, cela laisse du temps pour réfléchir à un plan d’action urgent. Et donc toute forme d’opposition à une aide technique internationale serait considérée comme criminelle. D’autant que les alimentations électriques ont toujours été réparées, au prix de nombreuses vies, dans des délais records.

Quels rejets ?

Les réacteurs étant tous à l’arrêt, la décroissance radioactive a fait son effet sur le combustible. La décroissance radioactive est un phénomène naturel qui caractérise la baisse du nombre de noyaux instables dans un échantillon de matière. L’IRSN explique :

« Compte tenu des délais importants depuis l’arrêt du dernier réacteur, les rejets en iode notamment, bien qu’importants, seraient bien plus faibles que pour un réacteur en fonctionnement, du fait de la décroissance radioactive. La fusion du combustible entreposé dans la piscine, située dans l’enceinte de confinement du réacteur, interviendrait ensuite, entraînant des rejets supplémentaires. »

Pour comprendre de phénomène de décroissance, une courbe sur l’accident de Fukushima. On voit qu’il suffit d’une quarantaine de jours à l’Iode-131 pour diviser son activité par 10, ce qui est la situation des cinq réacteurs de ZNPP en arrêt à froid. Donc si un accident devait se produire sur un des réacteurs en arrêt à froid, les comprimés d’iode distribués en cas d’accident ne serviraient strictement à rien.

L’Iode-131 — laradioactivite.com

Il est impossible (à l’heure actuelle) de faire une modélisation fidèle à la réalité, des rejets de radionucléides, cela dépend de la sévérité de l’accident, de la durée des rejets et de la météo (selon les vents dominants et les pluies).

Panache radioactif de Tchernobyl.

Il existe une modélisation déjà assez ancienne, elle est intéressante pour expliquer la dispersion du nuage, mais c’est simplement pour donner une idée. Maintenant, si la situation devait empirer, une modélisation des rejets sera établie par les experts en peu de temps, sur la base des informations météorologiques disponibles.

Conclusion

Ce ne sont pas les tirs de missiles sur le bâtiment réacteur qu’il faut craindre, mais la perte totale d’alimentation électrique externe. Les explosifs sont bien plus susceptibles de venir endommager les conteneurs de déchets radioactifs secs et les piscines combustibles. La situation est stable tant que cette ligne de 750kV est connectée aux 6 réacteurs, et les diesels de secours sont prêts à prendre le relai, à condition d’avoir un approvisionnement suffisant en carburant, et ce n’est pas une solution durable sur le temps long.

La situation est unique, mais n’a rien d’un accident nucléaire, cela dépend de beaucoup de facteurs encore incertains. Depuis 15 mois la centrale est au cœur d’un conflit intense et les équipes sur place ont toujours maitrisé les situations incidentelles en des temps records.

De plus, la présence permanente d’équipes de l’AIEA sur place permet d’avoir des informations fiables en temps réel, et ces informations sont communiquées à l’ensemble des experts techniques de la sûreté nucléaire du monde entier. Ces informations sont précieuses.

Quelques derniers rappels avant de terminer :

Je tiens à conclure cet article en rendant hommage aux travailleurs et travailleuses du site de Zaporijia, qui ont pour beaucoup déjà sacrifié leur vie pour rétablir cette liaison électrique, ils se battent au quotidien pour protéger l’Europe.

Publié en Juin 2023.