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Prenons un peu de recul sur ce quil se passe à Zaporijia. Il est important de préciser certains éléments.

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La centrale nucléaire de Zaporijia en Ukraine, et ses six VVER-1000/320

La centrale nucléaire de Zaporijia (ZNPP) est dotée de six 6 réacteurs, des VVER-1000 modèle V-320, léquivalent soviétique de nos Réacteurs à Eau sous Pression (REP en français). Ce sont des réacteurs de 3000MW thermiques et de 960MW électriques nets. Cest la filière qui a été déployée après les réacteurs RBMK (comme le réacteur responsable de laccident de Tchernobyl). Pour bien comprendre tout cela, on va commencer par quelques bases de sûreté nucléaire, ensuite il faudra regarder quels sont les besoins actuels de la centrale et quelles évolutions sont possibles avec tous ces éléments de contexte. Je précise que je vais souvent me restreindre à la situation actuelle à la ZNPP, et que souvent, par manque dinformations sur les VVER, il faudra faire des analogies avec nos REP français.

Bases de sûreté nucléaire

La sûreté nucléaire

Que signifie sûreté nucléaire ? Il existe une définition, utilisée par toute lindustrie nucléaire française.

La sûreté nucléaire recouvre lensemble des dispositions techniques et les mesures dorganisation prises en vue de prévenir les accidents ou den limiter les effets. Elles concernent la conception, la construction, le fonctionnement, larrêt et le démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi que le transport des substances radioactives. la sûreté nucléaire est une composante de la sécurité nucléaire qui comprend, en outre, la radioprotection, la prévention et la lutte contre les actions de malveillance, ainsi que les actions de sécurité civile en cas daccident. Il sagit donc à la fois :

\-Dassurer des conditions de fonctionnement normal de linstallation sans exposition excessive des travailleurs aux rayonnements ionisants, et sans rejets excessifs de radioactivité dans lenvironnement ;

\-De prévenir les incidents et accidents ;

\-En cas dincidents ou daccidents, de limiter les effets sur les travailleurs, les populations et lenvironnement.

Les trois fonctions de sûreté

Il faut en permanence surveiller les paramètres physiques du réacteur. On les appelle les « fonctions de sûreté ». Il y en a trois :

  • Contrôler la réaction nucléaire, éviter lemballement de la réaction nucléaire et larrêter au plus vite quand cela est nécessaire,
  • Contrôle de la température du combustible nucléaire (évacuation de la puissance résiduelle), pour éviter une fusion du combustible,
  • Confiner les matières radioactives, grâce aux trois barrières de confinement

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Issu du thread sur les réacteurs à sels fondus

La défense en profondeur

Le principe de la défense en profondeur est une méthode qui consiste à établir des barrières pour éviter le passage à létape suivante. Si létape 1 échoue, on passe à la 2, et ainsi de suite. Cest une norme internationale, les VVER-1000 comme les REPs occidentaux appliquent ce principe.

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Regardons chaque point succinctement.

  1. Prévention.

La conception des réacteurs est pensée de façon à limiter la probabilité daccident grave (typiquement une fusion du cœur), les opérateurs sont formés longtemps, évalués très fréquemment. La conception définie les matériels nécessaires au maintien des fonctions de sûreté. Sur lEPR, on a par exemple 3 branches dinjection de sécurité indépendantes et redondantes pouvant chacune assurer leur fonction de sûreté à 100% (il y en a aussi une quatrième quon suppose en maintenance). Les matériels sont également testés. Certains matériels ne seront probablement jamais utilisés en fonctionnement normal sur tout la vie de la centrale, mais malgré cela il est important de tester chaque composant pour vérifier que dans une situation accidentelle éventuelle, le système associé serait apte à remplir sa fonction de sûreté. Concrètement on teste des pompes dinjection de sécurité, on fait des épreuves hydrauliques pour tester la résistance du circuit primaire à une pression 1.3 fois supérieure à la pression en fonctionnement normal, on entraine les opérateurs sur des situations incidentelles, etc

2\. Détection et maitrise des accidents.

La détection passe par de multiples capteurs (pression, température, niveau deau, niveau de radioactivité…). Cela implique également beaucoup dautomatismes (très présents sur les EPR&EPR2) pour limiter les erreurs humaines et assurer une réponse plus rapide. A titre dexemple, le système darrêt automatique réacteur (AAR) est présent sur tous les réacteurs, même les plus anciens.

3\. Maitrise des situations accidentelles.

Maitriser une situation incidentelle qui pourrait mener à une situation accidentelle. Cela passe concrètement par une formation spécifique en accidentel pour les agents EDF. Les accidents sont classés en plusieurs familles, typiquement la perte de réfrigérant primaire (APRP), une rupture tube dans un générateur de vapeur (RTGV), perte électrique totale (PTEA), perte totale deau alimentaire (PTAE), rupture dune tuyauterie deau ou de vapeur (RTE/RTV). Plus dinformations sur les APRP et les RTGV sur cet article de lIRSN de 2013.

4\. Gestion des accidents graves.

Pour en arriver là, il faut quon ait raté toutes les étapes précédentes, donc on passe en situation de gestion de laccident pour en limiter les conséquences, pour éviter toute contamination à lextérieur. Concrètement, cela passe par des systèmes passifs de captation du dihydrogène (un gaz inflammable qui est responsable des explosions des réacteurs 1,2,4 de Fukushima). Sur EPR, cest un récupérateur de corium (une sorte de magma de combustible, dacier de cuve et autres produits divers quon ne veut pas voir sur le gazon). Au niveau humain, cela passe par un plan national de gestion des accidents graves, et au niveau local par lintervention de la FARN (on y reviendra).

5\. Protection des populations.

La dernière étape, en cas de rejets prévus ou ayant déjà eu lieu, il faut évacuer les personnes les plus proches du site nucléaire accidenté, pour limiter les conséquences sanitaires. Lexemple le plus connu est la distribution de pastille diodes. liode contenu dans ces pastilles se fixe sur la thyroïde pour la saturer et éviter que liode radioactif (qui vient directement du coeur) ne vienne sy fixer. Il existe aussi des plans dévacuation dans un rayon décidé par la préfecture sur la base des informations techniques données par EDF avec lappui technique de lIRSN.

Sur Zaporijia, on se situe à la limite entre les points 2 et 3, la situation pouvant évoluer assez rapidement. Pour linstant, tout est au point 2, mais cela nécessite le maintien dune alimentation électrique externe stable.

Les 3 barrières de confinement

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Si on parle de confinement, cest celui des matières radioactives. Elles sont présentes dans le cœur, là où on met le combustible qui va chauffer le fluide primaire. Lobjectif est déviter tout rejet incontrôlé dans lenvironnement extérieur. Ce confinement est assuré par trois barrières successives.

La première barrière se situe sur les assemblages de combustible (là où est luranium enrichi), une gaine en zirconium qui permet déviter de disoler les produits de fission de leau du circuit primaire.

La seconde barrière est le “circuit primaire fermé”, fermé car cest une boucle, les générateurs de vapeur constituent une interface déchange thermique (pas déchange de matière) qui empêche les éléments radioactifs de sortir. Si on a une rupture de gaine, les éléments radioactifs sont maintenus dans le fluide primaire, ce nest pas une situation normale, mais au moins on ne rejette rien.

La troisième est lenceinte du Bâtiment Réacteur (BR), qui assure le confinement si les deux barrières précédentes ont échoué. Imaginez quon ait des ruptures de gaine de combustible et une fuite dans le circuit primaire, alors tout doit rester confiné à lintérieur de la structure. Cette barrière a été brisée lors des deux accidents nucléaires majeurs, à savoir Tchernobyl puis Fukushima-Daichii (classés niveau 7 de léchelle INES).

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Echelle INES, Sûreté nucléaire : quest-ce que léchelle INES ? (lenergeek.com)

Larrêt automatique réacteur

Un point également sur la rapidité darrêt de la réaction nucléaire, cela a lieu en quelques secondes ou minutes. On utilise les barres de contrôle, constituées de matériaux neutrophages, cela permet darrêter la réaction au niveau neutronique (à noter que la baisse de température augmente la réactivité il faut donc injecter du bore dans le fluide primaire pour éviter une reprise de la réaction).

Les réacteurs VVER-1000/320 comme tous les REP exploités par EDF disposent dun dispositif dArrêt Automatique Réacteur (AAR) qui consiste en une chute automatique des barres de contrôle . Un arrêt à chaud est la phase qui suit un AAR, «chaud» car le fluide primaire et le combustible (ainsi que linertie thermique des structures et la puissance des pompes primaires) ont besoin de temps pour refroidir. A Zaporijia, tous les réacteurs ont donc passé létape de lAAR.

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Les barres de contrôle permettent de stopper la réaction nucléaire. Source: Les mots (free.fr)

Les différents états dun réacteur nucléaire

  • Fonctionnement en puissance ou marche de puissance intermédiaire, le réacteur produit beaucoup de chaleur, et de lélectricité, circuit primaire à plus de 300°C et 150 bars (petite barre grise en haut du graphe ci-dessous),
  • Arrêt à chaud, la réaction nucléaire est à larrêt mais le circuit primaire est encore chaud, le pressuriseur est diphasique (vapeur et liquide),
  • Arrêt à froid, la réaction nucléaire est à larrêt. La température du circuit primaire a été abaissée à quelques dizaines de degrés et il est à pression atmosphérique, le pressuriseur est monophasique liquide. Passer en arrêt froid nécessite une puissance résiduelle du combustible suffisamment faible (les échangeurs de chaleur sont moins efficaces à mesure que la température primaire baisse).
  • Cœur déchargé: le réacteur ne produit plus de chaleur, il ny a plus de combustible dans la cuve.

Pourquoi cest important ici ? Car la situation darrêt détermine les besoins de refroidissement du circuit primaire, et donc le temps pour atteindre une situation stabilisée. Petite précision, ici la puissance résiduelle est au premier ordre liée à la chaleur résiduelle produite par les produtis de fission des assemblages, et pas à la température de leau du primaire.

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Sachez quil existe une classification officielle, que je nutilise pas ici à des fins de simplification. Il existe 6 états nommés de A à F (IRSN, p.259260).

La piscine dentreposage de combustible usé

Cest une piscine, avec une source de chaleur interne qui vient des assemblages combustibles, on regarde à quel point elle est remplie. Cest important car les assemblages usés sont encore chauds (décroissance radioactive des produits de fission) et doivent aussi être refroidis. Il y a donc un besoin électrique pour faire circuler leau de refroidissement.

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Piscine de la centrale nucléaire de Gravelines

Situations accidentelles causées par des agressions externes

Que ce soit en cas de conflit armé, ou de phénomène naturels comme des inondations ou des séismes, il est important de regarder les points suivants.

  1. Etat darrêt de chaque réacteur (chaud ou froid), pour évaluer quel est le besoin énergétique pour le refroidissement du cœur. Le temps est le meilleur allié face à la puissance résiduelle. Actuellement, sur le site de ZNPP, 5 réacteurs sur 6 sont en arrêt à froid, et depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Il reste donc environ 4MWth de puissance résiduelle par cœur en arrêt à froid. Pour le détail des calculs, allez lire cette étude. Un réacteur est encore en arrêt à chaud pour la production de chaleur des villes autour. Cest le réacteur n°6, qui est surveillé de très près par lAIEA car cest celui qui nécessite le plus délectricité pour son refroidissement.

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Evolution de la puissance résiduelle dun cœur de 3 000 MWth de puissance nominale après un arrêt en fin de cycle. ( SFEN )

  1. Alimentation électrique externe (lignes 330 & 750kV, 20 groupes électrogènes de secours de 6,6 kV chacun), pour alimenter les circuits de refroidissement. LIRSN a dailleurs soulevé un point important sur les VVER-1000, la source de refroidissement ultime ne dispose pas dune autonomie suffisante en accidentel, doù lintérêt de garder lalimentation externe. Il est important de noter que depuis peu de temps, deux groupes électrogènes bunkerisés et donc protégés contre les actes de malveillance, sont installés à la ZNPP. Depuis laccident de Fukushima, les centrales se sont adaptées en cas de situation de perte totale dalimentation électrique, et disposent de moyens mobiles dappoint en eau et en électricité. Concrètement, un camion avec une pompe thermique (à eau) est capable dalimenter les générateurs de vapeur en eau froide, à partir dune source froide à distance raisonnable du réacteur, pendant 3 jours. Cela peut savérer utile pour le réacteur en arrêt à chaud. Il existe aussi un groupe électrogène mobile, monté lui aussi sur un camion (3 jours dautonomie).

Sur les REP français, comme sur les VVER, lalimentation électrique externe est essentielle à la sûreté et le système présente de nombreuses voies indépendantes et redondantes. Comme les 6 réacteurs de Zaporijia sont en situation darrêt, il nest pas nécessaire détudier le transitoire dîlotage (capacité dun réacteur à sisoler du réseau électrique tout en passant en fonctionnement autonome à puissance réduite).

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Principe de lalimentation électrique dune centrale française de type REP ( IRSN )

  1. Remplissage du cœur, pour savoir sil reste une chaleur résiduelle à évacuer. Ce point est très lié au point 1, puisquil sagit de savoir quels sont les besoins en refroidissement pour le circuit primaire. Il serait pertinent de vider les cœurs de leurs assemblages, ainsi que les piscines, pour éviter tout risque radiologique. Cest évidemment très compliqué dans un contexte de guerre. Surtout que cela représente un volume de combustible très important, et une logistique complexe. Et certains assemblages sont trop chauds pour être évacués. Dailleurs, si vous connaissez bien laccident de Fukushima-Daiichi, vous pouvez rétorquer que le réacteur 4 avait pourtant un cœur vide, et a explosé malgré tout. Mais cest parce que lhydrogène du réacteur 3 sest infiltré dans le 4 via une conduite commune.
  2. Remplissage des piscines du combustible usé, pour évaluer quel est le besoin énergétique pour le refroidissement de la piscine. (Article à ce propos). Cest un point souvent négligé, voire oublié. Or les matières radioactives du bâtiment combustible ont elles aussi besoin dêtre refroidies après un cycle dans le cœur, les produits de fission dégagent encore une chaleur résiduelle quil faut évacuer, sous peine dévaporer leau des piscines, ce qui mènerait à une fusion des assemblages combustibles. A Fukushima-Daiichi, il y avait 1300 assemblages dans la piscine (environ 3 cœurs) du réacteur n°4. Or lenceinte de confinement, qui contient le bâtiment combustible, était endommagée. Et une fusion de ces assemblages aurait incontestablement mené à un dégagement très important de radionucléides dans lenvironnement. Un article qui détaille la situation à Fukushima. Ces évènements ont mené à la création de la Force dAction Rapide Nucléaire (FARN), pour assurer des appoints en eau, air et en électricité (elle a dautres rôles détaillés ici ). Quelle est la situation des piscines de la ZNPP? Il semblerait quil y ait près de 3400 assemblages combustibles entreposés sur site (article de Reuters). Cest beaucoup, et une perte deau de refroidissement des piscines pourrait mener à des rejets importants.

« Selon une communication de lUkraine à lAIEA en 2017, il y avait 3 354 assemblages de combustible usé dans linstallation de combustible usé sec et environ 1 984 assemblages de combustible usé dans les piscines. »

Jajoute quil y a également des stockages «à sec» sur le site, on ne le fait pas en France, mais ailleurs dans le monde cela est pratiqué. Lavantage de ces conteneurs est labsence de besoin en refroidissement par eau (pas besoin de pompe ni deau). En revanche, une explosion qui viendrait endommager pourrait conduire à des rejets de radionucléides. Je ne connais pas la résistance de ces conteneurs, je ne prononcerai pas sur leur comportement à proximité dexplosion. En revanche la nature des déchets nucléaires stockés à lintérieur permet destimer quune explosion causerait une dispersion sur un rayon limité, une centaine de mètre environ daprès Olivier Dubois adjoint du directeur de lexpertise de sûreté de lIRSN, dans cette vidéo de lExpress. Toujours depuis Fukushima, le site de ZNPP dispose dune pompe thermique mobile autonome (autonomie de 3 jours), montée sur un camion, assurant un appoint en eau dans la piscine combustible pour compenser les pertes deau par vaporisation. Ci-dessous, lintervention qui a «inspiré» les ingénieurs en sûreté nucléaire pour cette solution dappoint pour la piscine. Cétait à Fukushima, sur lunité n°4, pour les piscines combustibles.

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Remettre de leau dans les piscines grâce aux lances des pompiers, assez original comme système de refroidissement, mais dans ce genre de situation, on fait avec ce quon peut.

  1. Intégrité du circuit primaire et du bâtiment réacteur, pour prévoir déventuels rejets extérieurs. On peut imaginer un endommagement du bâtiment réacteur par des missiles (ils va en falloir des costauds), est-ce problématique ? Oui, en situation accidentelle, car cet impact pourrait fragiliser la structure. Maintenant si on imagine (scénario très improbable) que le missile arrive à traverser lenceinte du BR, alors il faut voir quel est létat des pièces à lintérieur. On parle dun missile capable de transpercer 2.4m de béton armé, disposer dune telle arme est peu courant. Il faut vraiment le faire exprès. On peut aussi dire que étant donné la taille des BR, il est peu probable dendommager toutes les structures de sauvegarde, et lavantage du VVER-1000 est quil présente une triple redondance des systèmes de sauvegarde (comme lEPR), on peut donc imaginer un scénario où on aurait 2 systèmes de sauvegarde indisponibles, le dernier prendrait alors le relai.

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Enceinte du bâtiment réacteur n°4 après une frappe, novembre 2022 (Wikipedia)

Il est également important de préciser que les Russes ont stocké du matériel militaire dans le bâtiment de la turbine (circuit secondaire, sans risque radiologique). Ce sont des explosifs de combat, pas des anti-bunkers, une explosion dans cette zone causerait des dégâts irréversibles au secondaire, mais le risque radiologique serait très faible. Et lendommagement du bâtiment réacteur serait très limité également.

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Le bâtiment secondaire est séparé du BR, et nest pas renforcé en béton armé.

Les “stress tests” sur les VVER

Il est également important de préciser que la sûreté saméliore avec le temps, et la centrale nucléaire de Zaporijia ne fait pas exception. Pour les plus curieux, vous trouverez la liste des “stress test” auxquels elle a été soumise (ВСТУП). Cest le retour dexpérience des trois précédents accidents nucléaires (Three Miles Island, Tchernobyl et Fukushima-Daichii) qui est utilisé principalement pour déterminer ces résistances.

Les besoins actuels des réacteurs de Zaporijia

Le besoin principal qui focalise lattention de tous les techniciens et ingénieurs sur place est lalimentation électrique externe. Cest le point dintérêt de lAIEA le plus critique. Dans son point de situation du 15/05/2023 lIRSN explique :

« Une seule ligne dalimentation électrique de 750 kV est actuellement opérante pour assurer le fonctionnement des systèmes de refroidissement des assemblages combustibles. En cas de défaillance de cette alimentation électrique, 20 groupes électrogènes de secours sont disponibles pour prendre le relai et assurer lalimentation électrique de la centrale. »

La centrale possède 4 lignes dalimentation externe de 750kV, daprès les informations disponibles à lheure actuelle, une seule fonctionne parfaitement. Concernant les groupes électrogènes de secours, la ZNPP a besoin de personnel pour la maintenance, de pièces détachées, et évidemment, de combustible pour les alimenter. Précisons également que lapprovisionnement en combustible serait plus aisé par louest, la zone étant sous contrôle ukrainien, mais le site demeure encore sous contrôle russe.

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Situation au 31/05/2023

La centrale a également besoin dune source froide pour évacuer la puissance résiduelle, la récente attaque du barrage de Kakhovka montre que la source froide habituelle est menacée, le niveau deau baisse denviron 5cm par heure. Le site de Zaporijia est conçu en temps normal pour utiliser le réservoir “cooling pond” comme réservoir tampon pour saffranchir des variations de débit du fleuve Dniepr. Les réacteurs étant à larrêt on utilise un système dévacuation de la chaleur par air, où leau est projetée via des “sprinklers”. Il faut compenser cette perte deau par évaporation par un appoint en eau, et cet appoint en eau peut suffire quelques semaines selon lIRSN (point de situation du 7 juin 2023), voire mois selon lAIEA (Déclaration du directeur général de lAIEA).

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Quelle temporalité ?

  • Les lignes haute tension peuvent être réparées en une dizaine dheures (retour dexpérience depuis le début de la guerre).
  • Les réacteurs en arrêt à froid comme en arrêt à chaud étant à larrêt dun point de vue neutronique, la chaleur résiduelle et la température du primaire sont les deux paramètres à surveiller. Le réacteur n°5, en AAC a besoin de plus de refroidissement, sous peine de voir la température de son primaire monter, donc sa pression, jusquà un seuil hors des limites usuelles dexploitation du cœur.
  • Les générateurs diesel de secours permettent de tenir environ 15 jours avec les besoins actuels du site, limite en terme de combustible. Les générateurs ne sont pas conçus pour fonctionner plusieurs semaines non plus, il y aura des maintenance à réaliser. (Source)
  • La fusion du cœur pourrait ensuite intervenir sous 10 jours à compter de larrêt de tous les générateurs diesel de secours (Source)
  • Cela laisse donc 25 jours maximum pour anticiper la situation. Sachant que la situation commencera à se dégrader dès le 15e jour (faute dapprovisionnement suffisant en carburant), où les groupes électrogènes de secours seront à sec. Cest donc en réalité moins. Mais ce délai est bienvenu malgré tout, il permet une éventuelle intervention durgence. Le temps est le pire ennemi quand on a un réacteur en arrêt chaud. Pour prendre un cas similaire, ce qui sest passé à Fukushima peut se résumer assez simplement, larrêt automatique réacteur qui a immédiatement suivi la détection du séisme sest déroulé comme il le fallait, le problème a été dévacuer la puissance résiduelle. Les opérateurs nont pas réussi cette mission.
  • Passé ce délai, une fusion du cœur des réacteurs est possible, sur 6 réacteurs en simultané. Ces fusions mèneraient incontestablement à des rejets massifs. La présence de recombineur à hydrogène passifs (qui nont pas besoin délectricité) est plutôt rassurante pour éviter un endommagement de la troisième barrière (ce qui nétait pas le cas à Fukushima).
  • Quelques temps après la fusion des cœurs de réacteurs va aussi se poser la question des piscines de combustible usé. Elles ont aussi besoin dêtre refroidies.
  • Le VVER-1000 ne dispose pas dun récupérateur à corium contrairement au VVER-1200 (critère de sûreté de la 3e génération, comme sur lEPR), ce qui rend le risque de contamination externe plus important. Au delà dévacuer le corium dans un endroit pour le refroidir, lintérêt du core catcher est déviter l explosion de vapeur (forte chaleur et eau liquide…), donc cela participe à une préservation de la structure du BR.

Un besoin essentiel est également celui davoir du personnel qualifié sur place, et le contexte de guerre naide pas. Une centrale sûre sans humains nexiste pas, et le stress constant auquel sont soumises les équipes ne favorise pas un environnement sain pour travailler dans une centrale nucléaire.

Ce délai de 25 jours (grand maximum) est crucial, car si les autorités mondiales savent, grâce aux informations de lAIEA, que la centrale de Zaporijjia a absolument besoin délectricité, cela laisse du temps pour réfléchir à un plan daction urgent. Et donc toute forme dopposition à une aide technique internationale serait considérée comme criminelle. Dautant que les alimentations électriques ont toujours été réparées, au prix de nombreuses vies, dans des délais records.

Quels rejets ?

Les réacteurs étant tous à larrêt, la décroissance radioactive a fait son effet sur le combustible. La décroissance radioactive est un phénomène naturel qui caractérise la baisse du nombre de noyaux instables dans un échantillon de matière. LIRSN explique :

« Compte tenu des délais importants depuis larrêt du dernier réacteur, les rejets en iode notamment, bien quimportants, seraient bien plus faibles que pour un réacteur en fonctionnement, du fait de la décroissance radioactive. La fusion du combustible entreposé dans la piscine, située dans lenceinte de confinement du réacteur, interviendrait ensuite, entraînant des rejets supplémentaires. »

Pour comprendre de phénomène de décroissance, une courbe sur laccident de Fukushima. On voit quil suffit dune quarantaine de jours à lIode-131 pour diviser son activité par 10, ce qui est la situation des cinq réacteurs de ZNPP en arrêt à froid. Donc si un accident devait se produire sur un des réacteurs en arrêt à froid, les comprimés diode distribués en cas daccident ne serviraient strictement à rien.

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LIode-131 — laradioactivite.com

Il est impossible (à lheure actuelle) de faire une modélisation fidèle à la réalité, des rejets de radionucléides, cela dépend de la sévérité de laccident, de la durée des rejets et de la météo (selon les vents dominants et les pluies).

Panache radioactif de Tchernobyl.

Il existe une modélisation déjà assez ancienne, elle est intéressante pour expliquer la dispersion du nuage, mais cest simplement pour donner une idée. Maintenant, si la situation devait empirer, une modélisation des rejets sera établie par les experts en peu de temps, sur la base des informations météorologiques disponibles.

Conclusion

Ce ne sont pas les tirs de missiles sur le bâtiment réacteur quil faut craindre, mais la perte totale dalimentation électrique externe. Les explosifs sont bien plus susceptibles de venir endommager les conteneurs de déchets radioactifs secs et les piscines combustibles. La situation est stable tant que cette ligne de 750kV est connectée aux 6 réacteurs, et les diesels de secours sont prêts à prendre le relai, à condition davoir un approvisionnement suffisant en carburant, et ce nest pas une solution durable sur le temps long.

La situation est unique, mais na rien dun accident nucléaire, cela dépend de beaucoup de facteurs encore incertains. Depuis 15 mois la centrale est au cœur dun conflit intense et les équipes sur place ont toujours maitrisé les situations incidentelles en des temps records.

De plus, la présence permanente déquipes de lAIEA sur place permet davoir des informations fiables en temps réel, et ces informations sont communiquées à lensemble des experts techniques de la sûreté nucléaire du monde entier. Ces informations sont précieuses.

Quelques derniers rappels avant de terminer :

  • Utiliser une centrale nucléaire pour stocker des armes est irresponsable, sen servir de bouclier lest tout autant.
  • Une centrale nucléaire nest pas ni une cible, ni une arme. Se référer à larticle 56 du protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I) : «Les ouvrages dart ou installations contenant des forces dangereuses, à savoir les barrages, les digues et les centrales nucléaires de production dénergie électrique, ne seront pas lobjet dattaques, même sils constituent des objectifs militaires».
  • Dans un conflit armé, lennemi vise dabord le réseau, bien plus simple à détruire car plus fragile. Prendre le contrôle du site de Zaporijia est stratégique pour déstabiliser lUkraine. Cest en tant quinstallation électrique de grande puissance que cette centrale fait lobjet de tant dattention, pas en tant quobjet nucléaire. Un article à ce propos. Ukraines Vulnerable Power Grid — Geopolitical Futures.
  • Cétait assez exhaustif, à dessein, je ne peux pas faire à la fois trop technique et accessible, il faut nécessairement trouver un juste milieu.

Je tiens à conclure cet article en rendant hommage aux travailleurs et travailleuses du site de Zaporijia, qui ont pour beaucoup déjà sacrifié leur vie pour rétablir cette liaison électrique, ils se battent au quotidien pour protéger lEurope.

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Publié en Juin 2023.